Dernière mise à jour à 08h26 le 09/03
La structure économique du monde évolue, et les pays émergents atteignent la taille critique : les anciennes puissances économiques doivent tenir compte des nouvelles réalités et accepter ces nouveaux venus à la table de la gouvernance mondiale, estime l'auteur. |
Début 2016, des changements sont finalement intervenus dans la structure du FMI qui mettent en pratique des accords passés en décembre 2010 sous l'effet de la crise financière internationale. Ceux-ci accordaient à la Chine le troisième rang dans les quotas du FMI et aux BRIC (Brésil, Chine, Inde, Russie) des sièges parmi les 10 premiers où ils rejoignent les états-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie. Plus de six pour cent du capital du Fonds est ainsi passé sous le contr?le de pays à économie émergente.
La raison qui explique ce retard de cinq ans dans l'application de cette réforme nécessaire, puisqu'elle acte l'accroissement du poids économique des pays en développement, est que le Congrès américain refusait, jusqu'à la fin de l'année 2015, de voter les lois nécessaires à la mise en application de ces accords pourtant déjà négociés par le gouvernement des états-Unis.
Il est facile de comprendre également ce qui a conduit le Congrès à revoir sa position : c'est tout simplement le succès remporté par la Chine en établissant la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB)et le refus par certains des alliés-clé des états-Unis, comme le Royaume-Uni, de s'aligner sur leur politique de boycott de l'AIIB. Il est devenu clair que si les états-Unis s'entêtaient à bloquer la nécessaire réforme des institutions économiques internationales, la Chine avait les moyens de créer des solutions alternatives et que d'autres pays n'allaient pas les suivre dans leur inflexibilité.
Ce revirement tardif du FMI illustre bien l'approche générale qui est celle de la Chine envers la gouvernance économique mondiale. Son but n'est clairement pas de chercher la confrontation ou le contournement sans bonne raison des institutions globales existantes. Au contraire, la Chine a montré une incroyable patience alors qu'il n'était que trop évident que le législateur tra?nait les pieds pour répondre à ses engagements. Par ailleurs, l'AIIB était, dès sa création, ouverte à tous les pays. C'est cette même patience que la Chine a démontré lors du processus interminable d'inclusion du RMB au panier des monnaies de réserve du FMI destiné aux Droits de tirage spéciaux (DTS). Des exemples qui confirment le fait que la Chine poursuit une politique d'adaptation progressive et harmonieuse des institutions économiques globales pour prendre en compte les évolutions majeures que vit l'économie mondiale et ne recourt à des man?uvres de contournement des institutions existantes que lorsque les changements éminemment nécessaires sont entièrement bloqués.
Ceci contraste avec la politique américaine qui a consisté récemment à contourner de fa?on agressive les organismes de gouvernance internationale, comme on l'a vu par exemple dans le commerce international avec l'OMC. Lorsque l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a été fondée en 1995, elle constituait le résultat de négociations d'après-Seconde guerre mondiale qui se sont tenues en sept rounds du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). Pendant un demi-siècle, les états-Unis ont joué un r?le directeur dans la négociation des accords multilatéraux de ce type.
Avec l'émergence de la Chine qui est désormais la première puissance du commerce des marchandises et qui n'est dépassée que par les états-Unis en termes de volume commercial global, les plus importantes négociations visant à poursuivre la libéralisation du commerce devraient clairement inclure les états-Unis, la Chine et l'UE, les trois p?les principaux du commerce international. Au lieu de poursuivre une libéralisation multilatérale centrée sur l'OMS, les états-Unis ont au contraire cherché à lancer des accords excluant la Chine, notamment par la négociation avec des pays du Pacifique d'un Partenariat transpacifique (TPP), et avec l'Europe d'un Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP). On constate que, alors que la Chine poursuit une stratégie visant à entretenir et à développer le cadre des institutions multilatérales, sauf dans les cas où les réformes nécessaires à celles-ci sont entièrement bloquées, les états-Unis ont lancé une politique de contournement délibéré de celles-ci.
Ce contraste est encore plus frappant lorsque l'on examine le contenu des partenariats proposés. Au lieu de se baser sur les secteurs les plus dynamiques de l'économie mondiale, qui incluraient la Chine, le TPP consiste en un accord regroupant des pays à l'économie déclinante dont le poids en termes relatifs a baissé, passant de 54 % du PIB mondial en 1985 à 36 % en 2014.
Les mécanismes principaux du TPP visent surtout à préserver la position dominante des états-Unis et de ses multinationales dans les affaires mondiales. Le TPP prévoit que des entreprises privées, et surtout des américaines, auront le droit d'attaquer les états membres devant des cours d'arbitrage dominées par les états-Unis mais dont les décisions seront contraignantes pour les gouvernements nationaux.
à l'opposé de l'approche étroitement légaliste du TPP, la Chine n'a cessé de se faire l'avocat d'accords commerciaux multilatéraux les plus larges possible en Asie-Pacifique. Comme pour la réforme du FMI, la Chine cherche à réformer le commerce international dans le sens d'une approche multilatérale, tandis que les états-Unis cherchent à renouer avec leur approche des années de l'immédiat après-guerre, lorsque les organismes et les accords multilatéraux ne servaient qu'à conforter des intérêts spécifiquement américains. D'autres pays bénéficieraient grandement d'une approche plus ouverte, qui leur permettrait de jouer un r?le plus important dans les négociations. Pourquoi ce contraste entre les approches américaine et chinoise? Est-elle appelée à perdurer ?
Le tournant américain s'inscrit clairement dans la continuité du livre blanc Revising U.S. Grand Strategy Toward China, publié par le prestigieux U.S. Council on Foreign Relations. Celui-ci considère ouvertement que ? les états-Unis doivent mettre en place de nouveaux accords commerciaux en Asie excluant la Chine ?. D'autre part, poursuit-il, les états-Unis doivent chercher à ? mettre en place de nouveaux accords préférentiels avec leurs amis et alliés pour accro?tre leurs gains mutuels par des mécanismes excluant sciemment la Chine ?.
La raison de ce changement est évidente : contrairement au mythe qu'ils entretiennent, selon lequel l'économie des états-Unis présenterait un dynamisme absolument unique au monde, la réalité est que son économie ralentit et que son poids dans le monde se réduit. De 1984 à 2014, la part des états-Unis au PIB mondial est passée de 34 à 23 % en taux de change courants. Si l'on prend la moyenne glissante sur 20 ans, afin d'éliminer l'effet des fluctuations liées aux cycles économiques courts, la croissance moyenne du PIB des états-Unis est tombée de 4,4 % à la fin des années 1960 à 2,4 % en 2015.
Ainsi, comme l'a résumé Philip Stephens du Financial Times, ? la Chine est le grand bénéficiaire de l'ouverture de l'économie mondiale ?, alors que son résultat est que les états-Unis ? ne croient plus au grand multilatéralisme qui a régné dans la période post-Seconde guerre mondiale ?.
Sa thèse résumée consiste à dire que ces tendances économiques expliquent et continueront de renforcer le schéma récent qui fait désormais de la Chine la principale force désireuse d'adapter et d'étendre les accords multilatéraux existants, tandis que les états-Unis semblent s'enfermer dans l'unilatéralisme.
﹡JOHN ROSS est chercheur à l'Institut d'études financières Chongyang relevant de l'université Renmin à Beijing. De 2000 à 2008, il a été responsable de la politique économique et commerciale au sein de l'Administration du maire Ken Livingstone à Londres. Auparavant, il avait encore été conseiller pour plusieurs entreprises internationales opérant dans les secteurs minier, financier et manufacturier.
(Par JOHN ROSS)