Dernière mise à jour à 15h00 le 18/11
Pour pouvoir s'attaquer à l'épineuse question de la fraude fiscale et des flux illicites de capitaux qui ruinent leurs économies, les pays africains sont tenus de mettre en place des systèmes d'information fiscale sophistiqués, sauf que beaucoup de ces outils sont hors de prix et que de laborieux efforts pour y parvenir sont à prévoir, estime un expert.
"Le passage à l'échange automatique de renseignements nécessite la mise en place de systèmes d'information, de choses un peu sophistiquées qui ne sont pas toujours évidentes dans des administrations qui ne sont pas toujours très bien équipées pour faire leur travail de base, qui est de collecter l'imp?t sur les affaires qui sont dans leur pays", confie à Xinhua Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscale (CTPA) basé à Paris.
Les délégués de plus de 80 pays, entités juridiques et organisations internationales (dont l'ONU, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et l'Union européenne) participent cette semaine à Yaoundé au Cameroun à une réunion du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, un organisme également basé dans la capitale fran?aise.
Présentés comme de notoires paradis fiscaux récemment indexés dans un long feuilleton médiatique à rebondissements, le Panama, le Luxembourg, la Suisse et bien d'autres destinations comme les Iles Ca?mans, les Seychelles ou encore Maurice sont représentés à ces assises marquées mercredi par des discussions sur le thème "combattre les flux financiers illicites grace à la coopération fiscale internationale : un appel à l'action en Afrique".
Cette réflexion vise à susciter une plus grande adhésion des pays africains à ce Forum mondial, une institution créée en 2000 dans le giron de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) dans le but d'aider à lutter contre les pratiques fiscales illicites dans le monde.
Car, sur les 55 pays membres de l'Union africaine (UA), seuls 27 en font partie, sur un total de 141 adhérents. Le nombre de ceux ayant ratifié la convention multilatérale sur l'assistance administrative du forum se limite à sept, sur treize signataires, selon les statistiques officielles.
Selon M. Saint-Amans pourtant, "il y a un engagement politique en Afrique" autour de la question de la lutte contre la fraude fiscale et les transferts illicites de capitaux qui impliquent autant les propres citoyens africains que les multinationales, le plus souvent accusées de maquiller leurs comptes pour éviter de payer les imp?ts et taxes à la dimension des bénéfices enregistrés dans leurs activités.
C'est le cas, précise-t-il, du Cameroun, reconnu pour avoir signé et ratifié l'échange automatique de renseignements, l'une des deux normes avec l'échange de renseignements à la demande édictées par le Forum mondial.
"Au Sénégal, j'ai rencontré (le président) Macky Sall il n' y a pas si longtemps pour discuter de ce sujet, donc il y a un intérêt politique. Maintenant, les problématiques de développement sont telles qu'il y a d'autres priorités, par exemple mettre en place une administration fiscale, parce que toutes ne sont pas si développées que ?a", poursuit l'expert fiscal.
Selon rapport établi par un panel de haut niveau de l'UA sous la supervision de l'ex-président sud-africain Thabo Mbeki, l'Afrique subit chaque année entre 50 et 60 milliards de dollars de pertes fiscales dues aux flux illicites de capitaux de la part surtout de multinationales.
Mais de l'avis du directeur du CTPA, "mettre en place des systèmes sophistiqués, c'est co?teux. En même temps, on voit l'avantage que ?a peut représenter d'obtenir automatiquement -c'est la vraie fin du secret bancaire- l'échange d' informations automatique".
Donc, ajoute-t-il, "on ne peut plus du tout se cacher dans un autre Etat. Effectivement, il y a des bénéfices importants. Maintenant, il y a des co?ts également importants et ?a prend un peu plus de temps. Mais manifestement au cours de cette réunion du Forum mondial, on voit que de plus en plus de pays veulent aller dans cette direction".
C'est la conséquence de la grande mobilisation suscitée notamment par la série de révélations récentes d'affaires de paradis fiscaux dans la presse mondiale. "Il y a eu les SwissLeaks. Il y a eu les LuxLeaks. Il y a eu les Panama Papers. Il y a les Paradise Papers. A chaque fois, c'est comme si on mettait 100 francs dans la machine, ?a repart et on a de nouveau du soutien politique", note Pascal Saint-Amans.
"Maintenant, les travaux, on a les commencés il y a dix ans. On a un agenda, on a avancé l'agenda indépendamment des fuites. Mais c'est vrai qu'à chaque fois les fuites ont permis de remettre du politique, et donc du soutien, et donc de la dynamique. Aujourd'hui, il y a plus d'engagement politique. Depuis la crise financière de 2008, il y a un retour du politique sur ce sujet, qui est très fort", avance-t-il encore.
Cet engagement est fondamental, puisque l'opacité permet de développer la fraude fiscale, le blanchiment d'argent, la corruption, les trafics divers et variés comme le trafic de drogue et le trafic d'êtres humains, ou encore le financement du terrorisme, explique l'expert.
"Dès qu'on fait des progrès sur la transparence", poursuit-il, "même si ce n'est que pour des fins fiscales, ?a en fait avancer l'agenda de lutte contre toutes les formes de criminalité financière, d'où le lien avec le thème de la lutte contre les flux illicites de capitaux".