Dernière mise à jour à 08h22 le 28/01
Le débat organisé mercredi à l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), réunie pour sa session d'hiver à Strasbourg, a illustré la nouvelle bataille qui se joue en Europe autour de la question du nombre et de l'origine des migrants dans un contexte général de plus en plus hostile aux réfugiés.
Au sein de l'APCE qui a examiné deux rapports intitulés "La Méditerranée, une porte d'entrée pour les migrations irrégulières" et "Le crime organisé et les migrants" se dessinent de nouvelles dissensions quant à la nature du flux migratoire auquel l'Europe doit faire face.
Les parlementaires, sur la base de ces rapports, ont certes adopté deux résolutions: l'une pour appeler à une coopération internationale et au partage des renseignements afin de combattre efficacement les passeurs; l'autre pour demander la création de "hot-spots" (centres de tri) en dehors de l'Europe pour "traiter les demandes d'asile et sauver des vies".
La bataille idéologique fait cependant toujours rage dans l'hémicycle du Conseil de l'Europe (CoE) comme dans celui du Parlement européen (PE) entre les défenseurs de la solidarité et du devoir moral d'accueil à l'égard des migrants, et ceux, de plus en plus nombreux, qui exigent la fermeture des frontières et dénoncent "les illusions suicidaires du multiculturalisme", "le déni de réalité" ou encore "l'incompatibilité de l'islam avec les valeurs européennes".
Mais au-delà de la question des valeurs, c'est désormais celle de la légitimité des demandeurs d'asile et de leur nombre qui s'impose dans la rhétorique européenne. "Faire la différence entre ceux qui ont vraiment besoin de protection et les autres", "ne pas se laisser influencer par des images de femmes et d'enfants en pleurs", "arrêter d'être hypocrites", autant de phrases qui ont résonné mercredi à Strasbourg comme un leitmotiv et font écho à la déclaration tonitruante du Premier Ministre fran?ais, vendredi dernier. Sur les ondes de la BBC, Manuel Valls a en effet déclaré que l'Europe ne pourra pas accepter tous les réfugiés venant de Syrie ou d'Irak "sinon nos sociétés vont être totalement déstabilisées".
Lundi, c'est au tour de la Commission européenne d'enfoncer le clou par la voix de sa porte-parole Natasha Bertaud, en affirmant, sur la base de chiffres que l'agence Frontex n'a pas encore rendus publics, qu'"en décembre, le nombre d'arrivants qui ne remplissent pas les conditions nécessaires à l'obtention du droit d'asile est beaucoup plus élevé que pour le reste de 2015. Ces migrants économiques représenteraient "environ 60%" du nombre total des arrivants en décembre.
"La sympathie des citoyens à l'égard des demandeurs d'asile sera affaiblie si les personnes qui n'ont pas droit à une protection internationale sont également autorisés à rester en Europe", a ajouté la porte-parole.
Or, les chiffres donnés par Frontex sont soumis à controverse depuis l'automne déjà. L'agence européenne de surveillance des frontières a en effet été contrainte d'admettre que beaucoup de réfugiés et migrants avaient été comptés deux fois. L'Organisation Internationale des Migrations (OIM) affirme de son c?té que près de 37 000 migrants et réfugiés sont déjà arrivés en Italie et en Grèce par la mer en 2016, soit environ 10 fois plus que le total de 2015 à cette date. Pour la Grèce et les Balkans occidentaux, cette hausse représente plus de 20 fois le total de 2015 à la même date.
"Les organisations internationales devraient se concerter et adopter les mêmes critères", souligne le chercheur au European Policy Centre à Bruxelles, spécialiste des questions migratoires, Yves Pascouau qui affirme ne plus utiliser les données statistiques fournies par Frontex, l'OIM ou encore Eurostat. "On nous bombarde de chiffres peu fiables. Ce qui n'empêche pas de créer une dangereuse impression que le phénomène migratoire est devenu ingérable en Europe. Cela est totalement faux", déplore le chercheur.
Ces chiffres en occultent indéniablement d'autres que les leaders européens se gardent bien de mettre en avant afin de ne pas renforcer encore davantage le sentiment que le système pensé par l'Union européenne (UE) pour gérer la crise migratoire ne fonctionne pas. A commencer par les "hot-spots" pour l'enregistrement des demandes d'asile dont la mise en place a pris beaucoup de retard et qui sont vivement critiqués par les associations sur place. Ces centres de relocalisation ont pour objectif de trier et d'identifier les réfugiés: les érythréens, les Syriens et les Irakiens, et tous les autres, considérés comme des migrants économiques qui doivent quitter le territoire sous sept jours.
En France, 43 migrants originaires de Syrie, d'Irak, et d'érythrée sont arrivés lundi en Loire-Atlantique (ouest) en provenance d'un centre d'enregistrement en Grèce. Après les 19 érythréens accueillis en novembre dernier, cela porte le nombre de réfugiés relocalisés dans l'Hexagone à 62. Paris s'est pourtant engagé à en recevoir sur deux ans 30 000 sur un objectif européen total de 160 000.
La Grèce, qui supporte au premier chef ce qu'il est désormais convenu d'appeler le "fardeau" de la crise migratoire, est menacée d'une suspension de l'espace Schengen par la droite européenne qui l'accuse de ne pas mettre en place ces hot-spots.
Quant à l'accord conclu entre l'UE et la Turquie (où au moins 2,2 millions de réfugiés fuyant la guerre civile en Syrie se sont installés) - promettant de réduire le flot de réfugiés en échange d'une aide de 3 milliards d'euros - ses effets ne sont pas manifestes. Malgré l'hiver, les bateaux arrivent tous les jours sur les ?les grecques.