Dernière mise à jour à 15h56 le 07/10
Liu Yuan, père de deux enfants agé de 38 ans, était au bord des larmes en recevant une réponse favorable de la part des proches d'un donneur d'organes.
En Chine, chaque don d'organes à la suite d'un décès doit recevoir l'autorisation des proches du donneur. Depuis 2013, M. Liu travaille comme coordinateur de dons d'organes à l'H?pital Youan de Beijing, se chargeant d'approcher les familles et de gérer les dons d'organes et les services funéraires.
A partir de novembre 2017, avec 21 autres spécialistes médicaux de Shanghai, Beijing, Guangzhou, Kunming, Wuhan et Nanchang, il suivra un cursus post-universitaire spécialisé dans le don d'organes et la greffe.
M. Liu et ses collègues jugent que la formation est un pas important pour que la Chine adopte une approche plus professionnelle en matière de don d'organes, conforme aux pratiques internationales.
Pénurie de compétences
Liu Yuan est un chirurgien spécialisée dans la greffe du foie, mais il n'a jamais re?u de formation au don d'organes avant 2013.
Au départ, il était réticent à accepter ce poste et pensait à tort que le travail de coordinateur consistait uniquement à "persuader les gens de donner". Un de ses collègues a démissionné après six mois sans aucun don.
Il a acheté des livres et suivi des cours de sociabilité, dans l'espoir de mieux communiquer avec les familles des patients.
Son premier don d'organes a été conclu autour d'un verre. Une jeune fille de 13 ans souffrant d'une tumeur au cerveau, déclarée en état de mort cérébrale, était uniquement maintenue en vie à l'aide de machines, mais sa famille était réticente à accepter de donner ses organes.
M. Liu a invité le père de la fille à boire un verre, et un lien s'est formé entre les deux hommes. M. Liu se rappelle qu'ils ont pleuré toute la nuit, non seulement pour la souffrance de la famille, mais également pour les regrets du père.
Sa compagnie et sa compréhension ont eu un effet. Le jour suivant, le père était d'accord pour faire don du foie, des reins et des cornées de sa fille, aidant au moins trois patients.
Au cours des quatre dernières années, Liu Yuan a accompli plus de 30 dons d'organes. Mais le nombre d'échecs pourrait être "cinq fois plus élevé".
Selon lui, l'obstacle principal au don d'organes est que nombre de personnes agées conservatrices croient fermement en la tradition chinoise d'enterrer les défunts intacts. Même ses parents ne soutenaient pas le don d'organes.
Il était agressé ou accusé de trafic d'organes lorsqu'il demandait : "êtes-vous d'accord pour donner les organes du patient ?"
La Chine a interdit en 2015 l'utilisation des organes prélevés sur les prisonniers exécutés, faisant du don volontaire la seule source légale d'organes. Grace à davantage d'équité et de transparence dans le système de dons d'organes, le nombre de donneurs augmente, et le public est de plus en plus sensibilisé à cette question.
Environ 10.000 personnes ont fait don de 28.000 organes vitaux après leur mort. L'année dernière, un total de 1.080 personnes ont fait don de leurs organes, alors que ce nombre n'était que de 34 en 2010. Près de 300.000 Chinois ont exprimé le souhait de faire don de leurs organes.
Le pays a également accéléré la formation des médecins face à la pénurie de professionnels.
M. Liu a vu de nombreux professionnels de santé dans les services de soins intensifs échouer à maintenir le fonctionnement des organes de donneurs potentiels, entra?nant une défaillance des organes et affectant la qualité des dons. Cela est d? au manque d'expertise, estime-t-il.
Sept universités chinoises offriront un cursus post-universitaire sur le don d'organes et la greffe, dans le cadre du projet KeTLOD (transfert de connaissances et leadership en don d'organes de l'Europe vers la Chine), co-établi par la Commission européenne et les universités chinoises. Il devrait admettre 140 étudiants post-universitaires en novembre de cette année.
La spécialiste de la greffe du foie Xue Feng donnera ces cours à l'Université Jiaotong de Shanghai. Cela permettra de combler un manque dans l'enseignement médical de la Chine, indique-t-elle.
"Nous sommes en retard sur les pays occidentaux depuis près de trois décennies. Nous devons redoubler d'ardeur à la tache". (à suivre)
Les expériences de l'Espagne
Liu Yuan a suivi un cours spécial en ligne en février avec 21 autres médecins chinois.
Ils étaient interrogés par des spécialistes de l'Espagne, de l'Italie et de la France qui offraient des expertises et des expériences dans les approches cliniques, la gestion et les stratégies de diffusion en matière de don d'organes, conformément aux directives européennes.
Ce cours en ligne de trois mois a été mené à travers un groupe de discussion sur une application de réseau social permettant aux étudiants de lire des notes de lecture sur leurs smartphones. Des opérations chirurgicales étaient présentées en photos et vidéos, et un outil de traduction en ligne facilitait la communication en anglais.
Les médecins se sont ensuite rendus en mai à l'Université de Barcelone pour une formation d'une semaine. Ils enseigneront bient?t ce qu'ils ont appris à 140 étudiants post-universitaires en deux ans dans sept universités chinoises.
Marti Manyalich, président de l'Institut du don et de la transplantation d'Espagne, a déclaré lors du lancement de la formation qu'il s'agissait non seulement de partager les expériences, mais également de transférer les connaissances vers la Chine, d'une manière adaptée aux besoins locaux.
"Sept universités ne sont pas suffisantes. Nous devons former plus de professionnels chinois au cours des prochaines décennies", selon M. Marti.
Le taux de dons d'organes en Espagne est le plus haut du monde. En 2016, celui-ci était de 43,4 dons par million d'habitants. Ce chiffre n'était que de 2,29 en Chine, bien qu'il ait connu une progression remarquable depuis 2010, lorsqu'il se situait à 0,03.
L'une des raisons de ce succès en Espagne est le travail pionnier de professionnalisation mené dans le secteur du don d'organes. Dans les années 1980 et 1990, l'Université de Barcelone a commencé à donner des cours post-universitaires sur le don d'organes. Ces cursus ont été reproduits par d'autres pays européens.
Depuis, l'Espagne occupe un r?le leader dans la formation et les échanges internationaux dans ce domaine, formant plus de 10.000 professionnels à travers le monde.
La Chine s'est jointe à ce projet en 2013. Wang Lu, collègue de Liu Yuan, explique avoir été impressionnée par les discussions ouvertes et vastes, les scénarios pédagogiques et la méthode de questionnement socratique, rarement utilisés dans la formation en Chine.
La meilleure prescription
De nombreux spécialistes de la médecine interne ou médecins au niveau de base qui remettent en question les avantages de la greffe d'organes ne sont pas disposés à chercher des donneurs potentiels parmi leurs patients. Certains manquent probablement de connaissances, mais d'autres préfèrent éviter les tensions potentielles avec les patients.
Les organisations d'approvisionnement d'organes, équipes chargées de l'évaluation et de la collecte des organes des donneurs, sont mal organisées ou grandement marginalisées dans de nombreux h?pitaux. Elles n'ont pas de bureaux ou de coordinateurs à plein temps.
Chen Xiaosong, coordinateur de l'H?pital Renji de Shanghai, s'inquiète de ne pouvoir trouver de médecins souhaitant enseigner et d'étudiants s'intéressant à ce sujet. Les manuels ne sont pas encore traduits en chinois.
Selon Hou Fengzhong, directeur adjoint du Centre d'administration des dons d'organes de Chine, malgré des avancées remarquables ces dix dernières années, les dons d'organes restent à un niveau primaire dans le pays, ce qui nécessite des efforts conjoints de toute la société.
Il appelle à une coopération plus étroite dans les secteurs juridique, économique, politique et sanitaire et conseille au ministère de l'Education de proposer des politiques de soutien pour encourager plus d'universités, voire des collèges et des écoles primaires, à donner des cours sur le don d'organes.
La spécialiste de la greffe du foie Li Wenlei, qui dirige le cursus à l'Université de médecine de la capitale, juge que l'éducation est "la meilleure prescription" pour le don d'organes en Chine.