Dernière mise à jour à 11h35 le 03/12
Depuis le week-end dernier, le gouvernement tchadien, avec l'aide de ses partenaires, mène une campagne contre les violences à l'égard des femmes qui constituent un obstacle sérieux pour l'épanouissement de la femme elle-même, de la famille et du développement.
En partenariat avec le Système des Nations unies, l'Union européenne, l'Union africaine et l'Organisation des premières dames d'Afrique contre le VIH/sida (OPDAS), le ministère tchadien de la Femme, de la Famille et de la Solidarité nationale, Ngarmbatna Carmel Sou IV, a choisi de commémorer les 16 jours d'activisme sous le thème : "Autonomisation des femmes : véritable levier pour lutter contre les violences basées sur le genre".
"Le choix de ce thème ne relève pas du hasard. Il a été clairement établi que les femmes qui ne sont pas économiquement autonomes, n'ont ni le pouvoir de décision, ni le contr?le des ressources par lesquelles elles pourraient assurer leur pleine participation au développement", a déclaré Mme Ngarmbatna Carmel Sou IV en lan?ant la campagne.
La "campagne des 16 jours d'activisme" a débuté le 26 novembre, Journée internationale contre les violences à l'égard des femmes, et s'achèvera le 10 décembre consacrée à la journée internationale des droits humains. Elle est une stratégie élaborée en vue de focaliser de manière spécifique l'esprit de tous sur l'urgence d'éliminer toutes les formes de violences exercées sur les femmes et les filles tant par des individus que par des groupes dans le monde.
"Au Tchad, la situation des violences basées sur le genre est de plus en plus préoccupante. Toutes les femmes, sans exception, affirment avoir subi des violences psychologiques, physiques et sexuelles", a déploré la ministre de la Femme.
Selon les résultats d'une autre enquête publiés en janvier 2014, 12% des femmes au Tchad ont subi des violences sexuelles et au moins 20% sont battues chaque année. Les types des violences physiques les plus fréquents sont les coups de poing (43%), de pied (33%), avec des objets (26%), les gifles (29%), les injures (40,2%) et les blessures diverses (20%).
Le viol semble être le délit le plus pratiqué avec un chiffre très important (34,7%), viennent ensuite les attouchements non consentis (9,1%) et l'inceste (5,7%). Les lieux où se passent ces violences sexuelles sont essentiellement la maison (40,3%) et la rue (25,6%).
"Les déterminants de ces violences sont nombreux et liés pour la plupart aux normes culturelles et sociales à tort tolérées par nos communautés, ainsi qu'au niveau d'instruction très bas des femmes, aggravée par la méconnaissance des droits à elles consacrés".
L'enquête de 2014 indexe la pauvreté comme principale cause de la violence exercée contre les femmes (53,5%). Les personnes interviewées affirment que la catégorie des femmes instruites présente la proportion la plus élevée des femmes les plus exposées à la violence (72%).
Au Tchad, les femmes représentent plus de 52% de la population estimée à 12 millions d'habitants. Mais elles restent sous-représentées à tous les niveaux de l'appareil d'Etat. L'autonomisation de la femme passe nécessairement par la reconnaissance de son statut. Or, depuis plusieurs années, le Tchad tarde à se doter d'un Code des personnes et de la famille. Ancienne colonie fran?aise comme la plupart des Etats de l'Afrique centrale, il continue à utiliser le Code civil fran?ais, vieux de plusieurs siècles et inadapté à ses réalités socioculturelles actuelles.
Au début des années 2000, un projet de Code des personnes et de la famille typiquement tchadien a été initié. Malheureusement, depuis 2006, les entraves religieuses et politiques empêchent son aboutissement. L'Union des cadres musulmans du Tchad et certains leaders chrétiens ont rejeté plusieurs dispositions du projet de Code qu'ils estiment contraires à la Charia et à la Bible.
En 2013, les femmes avaient exigé à l'Assemblée nationale l'adoption "dans un bref délai" du Code de la famille, ainsi que la ratification de deux protocoles additionnels à la Charte africaine relatif aux droits de la femme en Afrique et l'autre à la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discriminations faites aux femmes. Deux ans plus tard, rien n'a bougé.
Même le projet de la Politique nationale du genre (PNG), élaboré par le gouvernement avec l'appui technique et financier des partenaires Oxfam et l'Organisation des Nations unies pour la population (UNFPA) et transmis au gouvernement depuis octobre 2011, n'a pas encore été adopté en conseil des ministres.
Le document démontre l'impact des inégalités du genre sur le développement socioculturel, économique et politique. Il met également en exergue les défis majeurs à relever en matière de genre et de promotion de la femme au Tchad : le développement d'un cadre juridique et institutionnel propice à la réalisation de l'égalité et de l'équité de genre et à la promotion des droits humains, l'élimination des écarts dans le domaine de l'éducation, de la formation et de l'emploi, l'accès égal aux opportunités, y compris au foncier et aux sphères de prises de décisions, le développement des mesures concrètes en vue de réduire la pauvreté des femmes et autres groupes marginalisés, etc.
C'est dans le milieu rural que les écarts entre les femmes et les hommes sont significatifs, selon un livret de plaidoyer conjoint publié par quatre organisations de la société civile tchadienne et Oxfam et intitulé "Six réalités sur les inégalités entre les hommes et les femmes en milieu rural au Tchad". Même si les femmes rurales tchadiennes représentent environ 40% de la population du pays et sont des piliers de la production agricole et de la sécurité alimentaire, elles subissent encore de nombreuses inégalités au quotidien, notamment en termes de revenus, de charge de travail, de vulnérabilité liée aux crises alimentaires, d'accès au crédit et au matériel et à la formation agricole.
Pour les défenseurs de la cause féministe, l'adoption de la PNG, suivie de sa mise en ?uvre, permettra au Tchad à l'horizon 2063 de se débarrasser de toutes les formes d'inégalités et d'iniquités de genre et de toutes les formes de violences.
Mme Ngarmbatna Carmel Sou IV a donc exhorté ses compatriotes à s'approprier "la campagne qui ne s'arrêtera pas avec les 16 jours d'activisme, mais devra se poursuivre dans les familles, les quartiers et les lieux de travail".