Comme la plupart des brodeuses, Ma Changmingjie se souvient, dès qu'elle la voit, du temps consacré à une pièce de broderie.

"Celle-ci m'a pris environ trois ou quatre mois", explique cette brodeuse de l'ethnie Tu vivant dans le district autonome Tu de Huzhu, dans la province chinoise du Qinghai (nord-ouest), en présentant une ceinture brodée, une de ses pièces du style Pan.

La broderie Pan est l'un des symboles de la culture de l'ethnie Tu. Elle figure également sur la liste du patrimoine culturel immatériel chinois au niveau national. Avec des techniques raffinées et des motifs délicats, elle témoigne de l'art de la broderie antique et de la sagesse des femmes de l'ethnie Tu.

La vie de Mme Ma, 55 ans, est intimement liée à cette forme d'art. Pourtant, elle n'a jamais pensé que les aiguilles et les fils qu'elle tenait dans ses mains pourraient un jour lui permettre d'acheter une nouvelle maison et d'offrir une vie meilleure à sa famille.

Son premier souvenir de broderie remonte à l'époque où sa mère lui enseignait la couture et le tricot. Comme toutes ses amies, elle a été initiée à la broderie à l'age de 7 ans. Mais le parcours n'a pas été facile.

A l'age de 4 ans, Mme Ma a perdu son père, et sa mère était la seule à subvenir aux besoins de la famille. Faute d'argent, la jeune fille a même d? vendre ses cheveux en échange de fils pour continuer ses tableaux à l'aiguille. "Je voulais juste continuer à broder", raconte-t-elle.

Mais à l'époque, personne ne pensait que la broderie pouvait se vendre. Pour tout le monde, la broderie était exclusivement destinée à un usage personnel. Pour pouvoir se nourrir et se chauffer, les villageois devaient cultiver la terre ou trouver un emploi dans les grandes villes. "Il ne m'est jamais venu à l'esprit que mes broderies se transformeraient en argent", se souvient la cinquantenaire.

En 2004, alors que son mari était atteint de néphrite, elle a d? quitter le foyer pour gagner de l'argent. Toute la famille travaillait 24 heures sur 24 et peinait toutefois à joindre les deux bouts.

Même dans les moments les plus difficiles, elle n'a jamais cessé de prendre ses aiguilles. Elle le reconna?t, elle est "accro à la broderie".

Ces dernières années, le vrai potentiel de la broderie Pan est apparu. En 2015, la société Sulonggu broderie co. LTD a vu le jour. L'entreprise rassemble des travailleuses habiles spécialistes de la broderie de Pan et leur offre un travail à plein temps de sorte qu'elles peuvent vivre de leur passion et quitter leur vie pénible. Mme Ma est l'une d'entre elles.

"Je gagnais moins de 4.000 yuans par an en travaillant dans les champs, mais maintenant je gagne au moins 3.000 yuans par mois. En ao?t dernier, j'ai gagné plus de 8.000 yuans", s'exclame-t-elle, un large sourire éclairant son visage. L'année dernière, sa famille a même emménagé dans une nouvelle maison.

La broderie n'est plus seulement un gagne-pain pour Mme Ma. Elle est le secret d'une nouvelle vie meilleure pour sa famille.

Aux yeux des Tu, le travail à l'aiguille est réservé aux femmes. Le fils de Mme Ma, Dong Chengbao, a donc appris la broderie Pan secrètement. Il travaille comme brodeur à plein temps dans la même entreprise. "J'ai toujours vu ma mère broder quand j'étais enfant, c'est tellement amusant", confie-t-il avec timidité.

Le jeune brodeur s'est heurté à des doutes et à des malentendus, même de la part de sa mère. Toutefois, il n'a jamais renoncé à sa passion. Du jour où il a saisi une aiguille, il ne l'a jamais lachée.

Le travail ne trahit jamais. En septembre dernier, le jeune brodeur a gagné un prix dans un concours de broderie du Qinghai. Il a ensuite eu la chance de sortir de la province du Qinghai pour la première fois et d'amener ses ?uvres jusqu'à l'Exposition horticole internationale de Beijing.

"Mon fils s'en sort mieux que moi", dit fièrement sa maman, ajoutant : "Il (Dong Chengbao) participe maintenant à des expositions partout. Il présente ses broderies en direct sur sa cha?ne sur Internet et a beaucoup d'abonnés."