Dernière mise à jour à 08h37 le 20/04
"La montée actuelle du populisme dans l'Union européenne s'explique par le fait qu'on lui reproche, à tort ou à raison, l'incapacité à résoudre le problème du ch?mage et de la crise économique", a estimé Madani Cheurfa, secrétaire général du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), dans une interview accordée récemment à Xinhua au sujet de l'élection présidentielle fran?aise.
Alors que le populisme est "aux portes du pouvoir comme en Autriche, en Hollande et peut-être en France", "de nombreux Fran?ais ont une vision noble du message porté par l'Union européenne, mais en ont une vision négative dans sa fonction", a-t-il souligné. "Ceux à qui profitent la mondialisation per?oivent l'Union européenne comme vertueuse, alors que ceux qui la subissent la jugent responsable de leur situation."
La relance de l'Union européenne repose principalement sur un alignement politique des dirigeants des Etats membres. Or, les chefs d'Etats et de gouvernements hongrois, polonais ou encore tchèque n'ont pas la même vision que leurs homologues espagnols ou fran?ais, a indiqué l'expert.
"Il va falloir que les partisans de l'Union européenne expliquent ce dont elle est capable pour lutter contre le ch?mage alors que l'on n'a toujours pas résolu les changements socio-économiques causés par la crise de 2008," a-t-il indiqué.
La question du populisme est selon lui "délicate", car elle "part du principe qu'elle est l'expression du peuple, donc de la démocratie, mais elle se situe sur le ressort démagogique à partir du moment où une seule personne prétend parler au nom du peuple". "Le populisme est une explication facile et simpliste du monde. Les candidats populistes veulent faire table rase du passé pour promettre un avenir sans tenir compte de la complexité de la réalité", a expliqué le secrétaire général du CEVIPOF.
"Le populisme à comme avantage de sembler 'parler-vrai', il fait croire que parler fort c'est parler franc, c'est dire la vérité"
La candidate à l'élection présidentielle fran?aise Marine Le Pen et son concurrent Jean-Luc Mélenchon s'appuient sur les peurs des Fran?ais quant à la remise en cause de leur style de vie. "La candidate du Front national charge les migrants, et plus particulièrement les musulmans, tandis que celui de la France insoumise vise les banques et les grands groupes", a indiqué M. Cheurfa.
Le discours populiste fonctionne, car il s'inscrit dans ce "divorce qui existe depuis 20-30 ans" ressenti par certains Fran?ais entre leurs vies et des élites dirigeantes per?ues comme "corrompues", selon lui. "Le populisme à comme avantage de sembler 'parler-vrai', il fait croire que parler fort, c'est parler franc, c'est dire la vérité", a expliqué M. Cheurfa.
"Les courants politiques modérés n'arrivent plus à convaincre, car leur bilan est considéré de fa?on négative par de nombreux Fran?ais et Européens qui les tiennent pour responsables de leurs situations socio-économiques difficiles", a estimé le secrétaire général du CEVIPOF. "Le ressort moral n'est plus possible en raison des affaires qui touchent des candidats comme Fran?ois Fillon."
"Les candidats modérés doivent expliquer qu'ils sont nouveaux et participent du renouveau de la classe politique, comme le fait Emmanuel Macron"
L'alternance gauche-droite n'a pas endigué le ch?mage, ce qui attire des Fran?ais vers le populisme. Selon M. Cheurfa, chez les plus jeunes électeurs de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, il y a cette tendance à dire "Ils n'ont pas été au pouvoir, laissons-les essayer". "Les populistes bénéficient de cette aubaine de ne pas voir exercé le pouvoir."
Interrogé sur les bilans politiques des onze maires Front national de France élus en 2014, le secrétaire général du CEVIPOF a expliqué qu'il était encore "trop t?t" pour avoir des "études sérieuses" sur le sujet.
"Marine Le Pen exerce un fort contr?le sur eux pour maintenir une image irréprochable de leur mandat, mais plusieurs scandales et polémiques ont déjà eu lieu", a-t-il précisé.
Pour contrer le populisme, "les candidats modérés doivent expliquer qu'ils sont nouveaux et participent du renouveau de la classe politique, comme le fait Emmanuel Macron", a souligné M. Cheurfa.
Interrogé quant aux conséquences possibles d'un échec d'un mandat présidentiel du candidat d'En Marche!, le secrétaire général du CEVIPOF souligne que "cinq ans, c'est court, mais cela peut permettre à Marine Le Pen d'intégrer le circuit législatif pour montrer qu'elle incarne l'opposition, car si Fran?ois Fillon échoue à l'élection présidentielle de 2017, ce sera une déflagration pour le parti Les Républicains, qui pourrait se scinder d'un c?té vers le Front national et de l'autre vers Emmanuel Macron".
"Il y a en effet une tendance pro-européenne au sein du parti Les Républicains avec le courant juppéiste qui rejoindrait En Marche!, tandis que l'électorat lui-même pourrait être plus en faveur de Nicolas Sarkozy et davantage sensible à un chef qui dirige [...]. On ne sait pas quelles seraient les réactions", explique-t-il.
"Il est possible qu'il y ait des troubles dans les rues, notamment lors de l'entre-deux-tours"
Interrogé sur la pertinence des sondages, M. Cheurfa estime qu'il faut les analyser avec prudence, car "un sondage, ce n'est qu'une photographie à un instant donné". Les sondages d'opinion sur les réseaux sociaux doivent également être considérés avec du recul, car "ceux qui s'expriment sont ceux qui s'intéressent à la politique". "Or, ces enquêtes d'opinion ne tiennent pas compte des gens qui ne s'y intéressent pas mais qui iront malgré tout voter, d'où la grande incertitude. Les 34% d'indécis sont ceux qui vont faire l'élection", a indiqué le secrétaire général du CEVIPOF.
"Il est possible qu'il y ait des troubles dans les rues, notamment lors de l'entre-deux-tours, car on a observé une sorte d'hyper-réaction par la violence, notamment lors des manifestations contre la loi Travail", a estimé M. Cheurfa.