Dernière mise à jour à 08h16 le 01/04
Il est temps que l'Union européenne (UE) accorde le statut d'économie de marché (SEM) à la Chine étant donné l'importance des relations sino-européennes et les efforts faits par Beijing pour mener des réformes économiques tournées vers les marchés, estime l'analyste Dan Steinbock dans un récent article.
"Pour l'Europe, les avantages sur le long terme sont supérieurs aux co?ts sur le court terme", estime le fondateur du cabinet conseil Difference Group dans un article paru sur le site EUobserver.
Accorder le SEM, c'est garantir une relation à long terme plus solide avec la Chine et s'attirer également des capitaux chinois, pense-t-il en ajoutant que la transition du géant asiatique vers une économie tournée en direction de la consommation et de l'innovation va aussi créer de nouvelles opportunités pour les entreprises européennes.
L'UE, qui appartient à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a jusqu'en décembre 2016 pour dire si elle accorde ou non le SEM à la Chine, comme le prévoit l'accord sino-européen conclu en 2001 lors de l'accession de la Chine à l'OMC.
Au siège bruxellois de l'UE, certains lobbies font de la résistance, arguant que la délivrance du SEM affaiblirait les défenses commerciales européennes face aux importations chinoises et mettrait en danger les emplois en Europe, notamment avec les surproductions de la Chine dans le secteur de l'acier.
"Mais les temps changent. La croissance chinoise ne repose plus sur les exportations nettes, mais davantage sur la consommation et les services", souligne l'expert. "Plus important : la Chine s'est engagée à réduire drastiquement ses surproductions, même si cela signifie licencier quelque deux millions d'employés dans le charbon et l'acier ces trois prochaines années".
Ceux qui s'opposent au SEM défendent les industries traditionnelles en perte de vitesse telles que l'acier, la céramique et les textiles, qui sont en perte de compétitivité dans l'Europe du Sud.
"A l'évidence, une grande partie de l'Europe du Nord, plus compétitive, dont le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les pays nordiques, est en faveur du SEM pour la Chine", analyse M. Steinbock.
L'expert salue par ailleurs les efforts de la Chine pour appliquer ses réformes économiques.
"Beijing, contrairement à Bruxelles, assure que la présence de l'Etat dans l'économie a diminué de fa?on spectaculaire au cours des quinze dernières années. A l'inverse, le r?le de l'Etat a effectivement augmenté dans plusieurs économies de l'UE", signale M.Steinbock.
"En outre, après la crise mondiale (de 2008), dont les effets persistent encore aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, la Chine a opté pour des réformes structurelles axées sur le marché", note-t-il.
Par ailleurs, la compétitivité chinoise n'est pas seulement due à des produits bon marché, mais aussi à ses capacités d'innovation. En dépit de son énorme population, les dépenses en recherche et développement (R&D) de la Chine par rapport à son PIB sont aujourd'hui supérieures à celles de l'UE en moyenne, a-t-il fait remarquer.
Pour l'UE, la reconnaissance du SEM de la Chine n'est pas une décision économique mais politico-juridique, estime l'expert.
Washington aurait mis en garde Bruxelles contre le fait d'accorder le SEM à la Chine. Pourtant, ses arguments contre une telle reconnaissance sont similaires à ceux qui ont été utilisés sans succès il y a un an contre la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII), souligne M. Steinbock.
Banque de développement sans but lucratif et multilatérale, cet établissement initié par la Chine a été officiellement créé en décembre 2015 et est entré en opération en janvier.
Considérée comme un défi face aux ambitions américaines de maintenir leur emprise sur les institutions économiques multilatérales de premier ordre, la BAII a été bloquée par Washington, qui a tenté de marginaliser l'impact de la banque et exhorté les autres pays occidentaux à le suivre.
Mais la stratégie a échoué. Un total de 57 pays, dont l'Australie, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, sont devenues membres fondateurs de la BAII, alors que plus de 30 autres pays attendent de la rejoindre.
"En règle générale, les pays majeurs qui considèrent toujours la Chine comme n'étant pas une économie de marché sont les Etats-Unis, leurs partenaires de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain; USA, Canada et Mexique), leurs alliés en matière de sécurité tels que l'UE et le Japon, ainsi que l'Inde. Cette opposition se nourrit moins d'économie que de géopolitique", note-t-il.
A ce jour, plus de 80 pays ont reconnu le SEM à la Chine. Parmi eux, figurent la Russie et le Brésil, ainsi que des économies avancées comme la Suisse, Singapour, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
La Chine est désormais le deuxième partenaire commercial de l'UE et l'un des plus grands marchés pour le bloc de 28 membres, fait remarquer M. Steinbock, en ajoutant que la décision très attendue de Bruxelles devrait aller de pair avec le développement des relations sino-européennes pour les années à venir.
Pour rappel, M. Steinbock a été directeur de recherche sur le commerce international à l'Institut Inde-Chine-Amérique et chercheur invité à l'Institut des études internationales de Shanghai et au Centre sur l'UE de Singapour.