A la veille d'une visite annoncée à Malabo en Guinée équatoriale avant de se rendre à New York où elle a été invitée à prendre la parole lors de la prochaine Assemblée générale des Nations Unies, la présidente de transition Catherine Samba-Panza a défendu dans une interview exclusive avec Xinhua mercredi soir à Bangui le choix de son nouveau gouvernement.
Contesté par les ex-rebelles de la Séléka avec leurs adversaires dans anti-Balakas, les deux principaux protagonistes de la crise centrafricaine, et une partie de la classe politique, ce cabinet de 31 membres conduit par Mahamat Kamoun se définit comme "un gouvernement de combat" soumis par la présidente à l' obligation de résultats en faveur de l'amélioration des conditions de vie de la population.
Question : Madame la présidente, quel bilan dressez-vous de vos huit mois déjà passés à la fonction de présidente de transition de la République centrafricaine ?
Réponse : J'ai pris un pays totalement délabré, avec des difficultés de tous ordres, des difficultés d'ordre sécuritaire, d' ordre humanitaire, d'ordre social, d'ordre institutionnel, économique et financier également. Les débuts ont été très durs, parce qu'il fallait partir de rien, avec beaucoup d'attentes de la part de la population.Parmi toutes ces priorités, nous avons tenu à mettre un accent particulier sur la sécurité et l'urgence humanitaire. Il y a eu beaucoup d'amélioration. Quand on regarde le moment où nous sommes arrivés en janvier et aujourd'hui, le 3 septembre 2014, on se dit qu'on a fait du chemin.
C'est vrai que tout n'est pas rose, il reste encore beaucoup de choses à faire, mais nous avons quand même posé des actes qui permettent aujourd'hui de circuler. Vous verrez qu'il y a une reprise quand même de l'administration. Il y a une reprise des activités économiques et commerciales. Il y a une reprise au niveau des centres de santé. Il y a une reprise dans les écoles. Mais, la sécurité reste une préoccupation avec la situation humanitaire. De même que la présence de l'Etat à l'intérieur du pays reste également unepréoccupation.
Q : Le nouveau gouvernement qui vient d'être mis en place avec son Premier ministre Mahamat Kamoun suite à l'accord du 23 juillet de Brazzaville est contesté par les protagonistes de la crise, à savoir les ex-rebelles de la Séléka et les milices anti-Balakas, et une partie de la classe politique centrafricaine. Comment comptez-vous lever ces obstacles qui persistent ?
R : D'abord en ce qui concerne la contestation, c'est normal, nous sommes en démocratie. Mais dans certains pays que vous connaissez, il y a des gouvernements qui ont été mis en place et qui ont été contestés. Alors, dans un pays comme la République centrafricaine où la cohésion nationale a été mise à rude épreuve, il est tout à fait normal qu'il y ait des contestations. Mais ce qui me rassure, c'est que la population pour qui j'essaie de mener toutes ces actions que je mène n'a pas contesté, ni le Premier ministre Kamoun, ni le gouvernement qui a été mis en place. Parce que la population a compris que j'ai fait des efforts en faisant ce choix pour amener un meilleur équilibre communautaire et surtout une meilleure cohésion sociale.
Dans ce gouvernement, vous avez les 16 préfectures de la République centrafricaine qui sont représentées, vous avez les grandes tribus et vous avez chaque entité politique, en tout cas les plateformes qui sont représentées. Il faut être de mauvaise foi pour être trop exigeant pour attendre davantage du geste que j' ai fait. Maintenant,le gouvernement a été mis en place, je pense qu'on n'a plus à donner des explications ou des éclaircissements. Il faut aller de l'avant.C'est un gouvernement de combat. C'est un gouvernement d'action. Je veux des résultats sensibles vraiment dans la vie quotidienne de la République centrafricaine. Il y a eu beaucoup d'hésitations, il y a eu beaucoup de tergiversations, il y a eu beaucoup de discours. La population veut des actes concrets et j'ai demandé à ce gouvernement d'être concret pour que la population sente qu'il y a des autorités qui mènent ce pays.
Q : Est-ce que vous auriez souhaité aller jusqu'au terme de la transition avec un seul gouvernement ? Souhaitez-vous que celui-ci soit le dernier jusqu'à cette échéance ?
R : ?a ne peut pas être le dernier, parce que comme vous le savez,après le forum de Brazzaville nous avons deux autres étapes qui doivent suivre. La réconciliation et les consultations populaires dans les 16 préfectures pour recueillir un peu la vision des populations sur la réconciliation, sur le dialogue et sur la transition, et la tenue du dialogue politique à Bangui, disons vers le mois de novembre.Au cours de la tenue de ce dialogue, beaucoup de décisions peuvent être prises. De manière souveraine, les délégués qui participeront à ce dialogue peuvent demander de revoir les institutions de la transition ou les textes fondamentaux régissant la transition. En ce moment-là, comment on dit, vox populi, vox dei, ce qu'ils auront demandé, alors moi je me soumettrai.
Q : Ce dialogue politique se veut inclusif. Peut-on penser que l'ancien président par intérim Michel Djotodia et l'ex-chef de l' Etat Fran?ois Bozizé y prendront part ?
R : Depuis que je suis arrivée, j'ai fait de l'inclusion un principe, parce que je veux cette transition apaisée et je voudrais que chaque Centrafricain se sente impliqué dans la gestion de la transition. C'est pour ?a que je me suis vraiment engagée et impliquée pour que le forum de Brazzaville se tienne. Au forum de Brazzaville,beaucoup de personnalités ont été invitées. Maintenant pour la participation au dialogue politique, il y aura un comité préparatoire qui va indiquer des critères de participation. Si ce comité préparatoire estime que, quelles que soient les actions posées, quelle que soit l'appartenance politique des gens, tous ces fils et filles deCentrafrique puissent participer à ce dialogue, c'est très bien.Seulement, au cours du forum de Brazzaville, quand on a commencé à préparer la participation, on a élaboré des critères et là-dedans nous avons mis un accent particulier sur l'inclusion également. Mais je le dis, il y a aura un comité préparatoire qui sera assez libre pour décider qui y participera ou pas.
Q : C'est connu, la Centrafrique est un pays qui suscite beaucoup de convoitises. Subissez-vous, en toute franchise, quelques interférences, quelles pressions qui vous empêchent d' aller plus vite qu'au rythme que vous auriez souhaité ?
R : On est en politique, il est évident que je ne suis pas seule, ni dans la sous-région, ni dans la région Afrique, ni dans le monde et que, bien s?r, il y a des points de vue, il y a des suggestions, il y a des conseils également pour me permettre de mener cette transition à bon port. Il m'appartient de tenir compte de cet accompagnement de certains amis qui me donnent certains conseils, mais quand même de tenir compte des attentes de la population centrafricaine et toujours en dernier ressort je me réfère à ces attentes pour prendre les grandes décisions.
Q : De temps en temps on vous voit vous rendre dans des pays voisins. Etes-vous suffisamment écoutée par les chefs d'Etat d' Afrique centrale et avez-vous leur franc soutien ?
R : En tout cas quand je suis arrivée, sans l'appui et l' accompagnement des chefs d'Etat des pays voisins, nous n'aurions pas pu tenir. C'est grace à la solidarité de la sous-région, notamment de la CEEAC [Communauté économique des Etats de l' Afrique centrale] que nous avons pu tenir. Si nous n'avions pas eu l'appui financier des pays membres de la CEEAC, nous n'aurions pas pu payer les premiers salaires. Si nous n'avions pas eu l'appui budgétaire de la communauté internationale, nous n'aurions pas pu tenir. Ces pays amis et ces pays frères ont perdu des hommes qui sont venus défendre la paix en Centrafrique. Je pense qu'il faut savoir être reconnaissant à ces pays-là pour les actes qu'ils ont posés et si je vais dans ces pays-là, c'est d'abord pour leur témoigner ma gratitude et ensuite pour demander qu'ils continuent à m'accompagner dans la gestion de la transition.
Q : La création d'un tribunal criminel spécial pour juger les auteurs des exactions pendant la crise est-elle la concrétisation de votre détermination à mettre fin à l'impunité et quels résultats attendez-vous de cette juridiction en voie de mise sur pied ?
R : Quand nous sommes arrivés, nous avons dit ceci : au cours des divers processus de réconciliation en Centrafrique on a mis en avant l'amnistie de certains faits graves en se disant qu'il fallait aller vers la réconciliation, faire de l'ouverture. Depuis 1996 où les premières mutineries ont éclaté et que nous avons fait moult fois de l'amnistie, ?a n'a rien apporté, ?a n'a rien changé. Donc, nous avons compris dès notre arrivée à la tête de l'Etat qu' il ne faut pas que nous prenions le chemin de l'impunité et donc malgré notre désir d'aller vers la réconciliation, vers le dialogue, nous estimons qu'en encourageant l'impunité, nous allons pénaliser notre population,victime de certains faits graves et certaines violations des droits de l'homme et des droits humanitaires.
Donc pour nous, il faut lutter absolument contre l'impunité dans un contexte très difficile, où les structures étatiques sont totalement effondrées, où le secteur judiciaire n'a pas les moyens de sa politique et de sa vision. En recevant hier (mardi) le président de la Commission d'enquête internationale des Nations Unies, nous avons effectivement émis le voeu d'avoir une juridiction spéciale, à l'image du Tribunal pénal international sur la Sierra Leone, justement pour lutter efficacement contre l' impunité.
Par Rapha?l MVOGO, envoyé spécial à Bangui