Dernière mise à jour à 10h32 le 04/09
Vivant sa première semaine sans capitaine, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est non seulement confrontée à un vide de direction sans précédent et à la plus grande crise de ses 25 ans d'histoire, mais elle doit urgemment embrasser les réalités technologiques et géopolitiques du XXIe siècle pour rester pertinente, ont averti des experts.
L'OMC basée à Genève est de facto sans chef depuis le 31 ao?t avec le départ de son directeur général Roberto Azevêdo, qui a créé la surprise en annon?ant en mai dernier qu'il démissionnerait un an avant le terme officiel de son mandat.
M. Azevêdo, qui rejoindra le géant des boissons non alcoolisées et des snacks PepsiCo, laisse à son successeur un ensemble de défis, allant de l'intensification des tensions commerciales entre les principaux membres à la montée du protectionnisme en passant par la pire récession économique depuis la Grande Dépression.
Comment réformer l'organisation et son système commercial multilatéral fondé sur des règles est désormais une question suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus des huit candidats à sa succession du Brésilien.
Alors que des critiques ont mis en garde contre la "mort imminente" de l'OMC, Bernard Hoekman, professeur au Centre Robert Schuman d'études avancées, juge ces affirmations exagérées.
"La vraie question est de savoir si une masse critique de membres de l'OMC seront disposés à s'engager dans des discussions sur la réforme qui rendront l'organisation pertinente pour la gouvernance mondiale du commerce du XXIe siècle, qui se concentre de plus en plus sur le commerce des services et les politiques qui affectent la croissance de la transformation structurelle en cours de l'économie vers la numérisation, la désintermédiation et l'automatisation", a-t-il confié lors d'un récent entretien avec Xinhua.
"Des discussions plurilatérales sont en cours sur certains domaines politiques clés, par exemple le commerce électronique et la réglementation intérieure des services, ce qui est une dynamique positive", observe M. Hoekman.
Mais alors que le processus de sélection du nouveau directeur général se poursuit, des analystes ont averti que le vide du pouvoir pourrait durer des mois.
L'OMC doit entamer trois séries de consultations ce mois-ci - appelées "confessionnaux" - au cours desquelles ses 164 membres exprimeront confidentiellement leurs préférences, éliminant progressivement les noms figurant sur la liste. Ce processus devrait durer au moins jusqu'en novembre, à condition qu'il n'y ait pas de retard.
"Les organisations internationales meurent rarement, mais elles peuvent devenir inutiles. Ce n'est que lorsque suffisamment de gouvernements verront l'intérêt de faire des affaires à l'OMC que cela reviendra", a dit à Xinhua Simon Evenett, professeur de commerce international à l'Université de Saint-Gall en Suisse.
REFORMES, REFORMES, REFORMES
L'OMC, fondée en 1995 pour remplacer l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), est la seule organisation internationale qui s'occupe des règles du commerce mondial. Sa fonction principale est de veiller à ce que les échanges commerciaux soient aussi fluides, prévisibles et libres que possible.
Cependant, au cours de la dernière décennie environ, il n'a pas produit d'accords multilatéraux importants.
"Le monde a évolué. La question est de savoir si les diplomates commerciaux peuvent quitter leur zone de confort et accepter les réalités de la rivalité technologique et géopolitique du XXIe siècle", note M. Evenett.
Les candidats en lice pour la tête de l'OMC ont quant à eux promis des réformes radicales des trois principales fonctions de l'organisation que sont le règlement des différends, les négociations commerciales multilatérales et la politique commerciale.
Le candidat égyptien Abdel-Hamid Mamdouh a déclaré à Xinhua dans un récent entretien que le rétablissement de la fonction de négociation bloquée serait sa priorité numéro un.
La Kenyane Amina Mohamed a souligné qu'elle mettrait à jour les règlements de l'OMC afin qu'elles soient adaptées à leur objectif et "en phase avec les développements mondiaux, les aspirations mondiales et répondre correctement aux défis mondiaux".
REPARATION DU REGLEMENT DES DIFFERENDS
L'autre problème pressant qui doit être résolu est celui de la réparation du mécanisme de règlement des différends de l'OMC qui est actuellement paralysé.
L'Organe d'appel, considéré comme la "Cour suprême" pour les différends commerciaux mondiaux, est censé avoir sept juges et en a besoin d'au moins trois pour fonctionner. L'administration Trump bloque les nouvelles nominations depuis plus de deux ans, des responsables américains affirmant que cet organe était allé au-delà de ses attributions.
"Sans un système efficace pour résoudre les conflits commerciaux, il n'y a aucune incitation à négocier de nouveaux accords. La crise actuelle est l'occasion de réformer l'approche adoptée à l'OMC pour régler les différends", assure M. Hoekman.
Les membres de l'OMC, dont la Chine et les pays de l'Union européenne, ont mis en place un système d'arbitrage temporaire au début de cette année qui leur permet de surmonter la paralysie actuelle et de résoudre les différends commerciaux entre eux.
Le candidat mexicain Jésus Seade Kuri a déclaré à Xinhua que le redémarrage du système de règlement des différends figurerait en tête de son programme de réforme et a suggéré de créer un nouveau mécanisme de supervision pour l'Organe d'appel.
PLUS D'INCERTITUDES
Indépendamment de qui prendra la barre, le vainqueur ultime devra se préparer aux nouvelles réalités post-COVID, à une chute du commerce mondial et à la tache de rétablir l'OMC en tant que défenseur du commerce international.
Selon les prévisions annuelles faites par l'organisation en avril dernier, le commerce mondial des marchandises devrait chuter de 13% à 32% en 2020, avant de reprendre entre 21% et 24% en 2021.
En théorie, le successeur de M. Azevêdo devrait être sélectionné avant le 7 novembre, quelques jours après l'élection présidentielle aux Etats-Unis, dans le cadre d'un processus d'élimination convenu et fondé sur un consensus.
Le président américain Donald Trump ayant précédemment suggéré de quitter l'OMC, bien qu'aucun plan ferme n'ait été annoncé, la grande inconnue reste cependant l'influence que les Etats-Unis exerceront sur ce processus de sélection du futur directeur général.
Par Martina Fuchs