Dernière mise à jour à 08h24 le 11/12
La colère des "Gilets jaunes" s'explique par des causes beaucoup plus profondes que la hausse des taxes sur les carburants qui en est le déclencheur, alors que ces "Gilets jaunes" sont des catégories sociales qui sont au-dessus de la pauvreté et qui ont peur de devenir pauvres, a indiqué Eddy Fougier, expert fran?ais des mouvements protestataires, lors d'une récente interview accordée à Xinhua.
Selon cet enseignant à Sciences-Po Lille et Aix-en-Province, cette colère lointaine se manifeste, notamment par le rejet des élites économiques, politiques ou intellectuelles sur fond de dénonciation du développement des inégalités.
Selon M. Fougier, des mouvements citoyens qui n'ont aucun rapport avec les politiques ou syndicats, sont rares mais ont déjà existé en France. La nouveauté qu'apporte le mouvement des "Gilets jaunes" réside, notamment dans son "importance géographique".
On a eu en France en 2013 les bonnets rouges qui étaient révoltés en Bretagne contre une taxe. Mais c'était à une dimension régionale, voire régionaliste avec le sentiment que la Bretagne était encore une fois la victime des décisions prises à Paris", a-t-il rappelé.
Il y a également eu quelques mouvements spontanés de ch?meurs dans les années 1990, qui réclamaient une prime pour No?l. Là aussi c'était un mouvement qui ne concernait que des ch?meurs, a-t-il précisé. Donc le mouvement des "Gilets jaunes", sous cette forme là (diversité dans la composition, utilisation des réseaux sociaux, dimension nationale), "c'est quelque chose de tout à fait inédit en France", a indiqué le spécialiste.
Pour expliquer la colère des "Gilets jaunes", M. Fougier a distingué les causes profondes de celle relative à la hausse des taxes sur les carburants qui a déclenché le mouvement. "Il y a toujours un déclencheur dans ces types de mouvements. On l'a vu dans différents pays, la hausse des prix du pain, de l'essence, des transports en commun, ou encore du prix d'entrer à l'université déclenche très souvent ce genre de mouvement spontané", a-t-il expliqué.
Concernant les "Gilets jaunes", c'est plut?t les taxes sur les prix de l'essence. Mais il y a sans aucun doute des causes plus profondes, a dit M. Fougier. Il s'agit, selon lui, d'un rejet des choix politiques pr?nés par les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt à trente ans, notamment leur échec sur la question du ch?mage. Et plus largement il s'agit aussi d'un rejet des élites que ce soit économique, politique ou même intellectuel. Un rejet que les manifestants expliquent par le fait que "ces élites ne se rendent pas compte de ce que vivent les Gilets jaunes au quotidien".
Ils dénoncent ainsi deux choses : "la première c'est le développement des inégalités, avec une catégorie qui est favorisée et une autre catégorie qui est laissée pour compte. La seconde critique, c'est celle du mauvais fonctionnement de la démocratie en France, qui est le fait que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte par les gouvernements, donc ils ne croient plus en la politique et dans le parti politique, et réclament une amélioration de la démocratie et de la justice sociale", a expliqué M. Fougier.
A propos de la catégorie sociale des "Gilets jaunes", le spécialiste a souligné qu'il n'y avait pas encore tous les éléments pour analyser la sociologie de ce mouvement. Mais tout indique, selon lui, que ce mouvement des "Gilets jaunes" ne se retrouve pas nécessairement chez les catégories les plus pauvres.
"Ce n'est pas un mouvement de ch?meurs ni un mouvement où certains sont en situation de pauvreté. Ce sont des catégories sociales qui sont au-dessus de la pauvreté et qui ont peur de devenir pauvres", a-t-il souligné. Il s'agit, selon M. Fougier, des ouvriers, des employés, des commer?ants, artisans, agriculteurs. De gens qui, "soit ont un emploi mais avec des revenus assez faibles, soit sont indépendants, avec des revenus qui peuvent varier, comme c'est le cas pour les agriculteurs et les commer?ants, donc des gens très sensibles aux questions de taxes".
Sociologiquement les "Gilets jaunes" viennent des banlieues, de la campagne, des petites villes mais pas des grandes villes. Ce sont plut?t des populations qui n'ont plus les moyens de vivre dans les grandes villes parce que le co?t du logement devient beaucoup trop élevé, a-t-il expliqué.
"On peut estimer que c'est des populations qui gagnent à peu près ce qui correspond au revenu médian. Ils ne peuvent pas vivre à Paris, et sont obligés de quitter pour vivre en banlieue. Pour aller à leur travail, ils sont obligés de prendre leur voiture, donc ont des frais économiques liés à l'essence, qui sont très élevés", a dit M. Fougier. Les taxes et l'augmentation des prix de l'essence sont ainsi extrêmement négatives pour cette catégorie sociale. D'où le déclenchement de ce mouvement et au-delà d'autres formes de critiques, de ressentiments que peuvent avoir ces populations, a analysé le spécialiste de ces mouvements.
Mais bien qu'il soit "inédit", le mouvement des "Gilets jaunes" présente des difficultés tout comme les mouvements sociaux qui l'ont précédé ces dernières années. La première difficulté que rencontrent ces mouvements c'est qu'ils refusent des leaders et sont dans une logique d'égalité. Résultat, il est très difficile pour ces mouvements d'avoir des représentants qui vont négocier avec le gouvernement, a expliqué M. Fougier , tout en citant l'exemple des "Gilets jaunes" qui ont du mal à être d'accords sur le choix des 8 délégués désignés pour les représenter.
L'autre difficulté est liée au manque de structuration du mouvement. "C'est le fait d'être un peu désorganisé et de ne pas pouvoir ma?triser les éléments les plus radicaux. Il y a une troisième difficulté qui est la question du rapport à la politique. C'est des mouvements qui à un moment donné se posent la question de savoir s'ils vont se transformer en un mouvement politique", a-t-il précisé.
Quant à la suite du bras de fer qui oppose le mouvement au gouvernement, le spécialiste a pensé que les "Gilets jaunes" pourraient obtenir du gouvernement une meilleure prise en compte de l'aspect social de leurs revendications, et certainement pas de changement de politique (pour l'instant), encore moins la démission du président de la République.
"La politique économique menée par le gouvernement n'a pas eu cette dimension social. Même sa politique de transition écologique n'a pas pris suffisamment en compte des conséquences sociales", a expliqué M. Fougier.
Cependant si les violences continuent à monter et que le mouvement se poursuit en janvier, malgré les fêtes de fin d'année, "le gouvernement va être obligé de faire un changement soit de personnes soit de politique. Parce qu'il va y avoir des élections européennes en 2019 et, sans doute la popularité de Macron va être encore plus faible, donc il ne va pas continuer comme cela", a conclu M. Fougier.