Le Parlement européen (PE) a donné un accueil prudent au plan d'investissement dévoilé mercredi par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne (CE).
Le plan, qui inclut la création d'un nouveau fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), est garanti par de l'argent public. Ce fonds est destiné à mobiliser au moins 315 milliards d'investissements supplémentaires au cours des trois prochaines années (2015-2017).
Le fonds devrait surtout soutenir l'investissement dans les infrastructures, en particulier les réseaux à haut débit et les réseaux d'énergie, ainsi que les infrastructures de transport dans les centres industriels; l'éducation, la recherche et l'innovation; et les énergies renouvelables.
Devant le Parlement européenne (PE), M. Juncker a déclaré : "Si l'Europe investit plus, elle sera plus prospère et créera plus d'emplois - c'est aussi simple que cela".
Cependant, le plan dépend essentiellement de ce que les économistes appellent un "effet multiplicateur". La CE affirme que chaque euro d'argent public mobilisé par le fonds générera au total 15 euros d'investissements qui, à défaut, n'auraient pas été réalisés.
D'après ce logique seulement 21 milliards d'euros généreront 315 milliards d'euros au total. Les principaux groupes politiques au sein du PE ont largement soutenu le plan. Sans surprise, le parti du centre-droit PPE de M. Juncker y était fortement favorable. Son président Manfred Weber a déclaré: "Nous avons besoin d'optimisme et de volonté de changement. Ce que nous ne pouvons pas faire, c'est de continuer à appliquer des solutions du passé. Nous devons éviter de nous endetter encore plus, parce que ce n'est tout simplement plus viable. C'est pourquoi la mobilisation de capitaux privés et son investissement d'une fa?on plus intelligente pour financer des projets innovants est la bonne solution".
Gianni Pittella, président des Socialistes et Démocrates (S&D) a salué la réorientation de la stratégie de "l'austérité aveugle de l'ère Barroso".
Les Socialistes se sont battus pour que les contributions des Etats membres au fonds soient déduites du calcul de leurs déficits et des dettes nationales. Le fait que le collège des commissaires de M. Juncker a accepté cet argument est une victoire importante pour le centre-gauche.
"Nous avons brisé le tabou de la rigidité", a ajouté M. Pitella. "Il ne s'agit pas de casser les règles, mais plut?t la nécessité pour les Etats membres de compter sur des règles flexibles appliquées d'une manière intelligente".
Mais le groupe Conservateurs et Réformistes européens (ECR), dominé par les conservateurs britanniques, était plus prudent.
Le président du Parti Syed Kamall a déclaré que le programme doit encourager l'investissement privé, mais il ne doit pas se substituer aux réformes économiques qui encourageront encore plus d'investissement dans l'économie européenne.
Intervenant dans le débat du PE après le lancement de l'initiative, Dr. Kamall a averti que de nombreux investisseurs privés hésitent à investir dans des projets gouvernementaux, et a déclaré que les projets doivent offrir "une réelle valeur ajoutée, sans faire passer les risques réels aux contribuables européens".
"Comment pouvons-nous éviter une situation où les investisseurs privés sont gagnants et les contribuables perdants?" a demandé M. Kamall.
Il a aussi affirmé que la CE devait poser une question plus large, c'est-à-dire, pourquoi les entreprises n'investissent pas en Europe, et en particulier dans la zone euro actuellement ?
"J'ai parlé à un certain nombre d'investisseurs privés, et leur ai demandé ce qui les arrête d'investir", a-t-il poursuivi. "J' ai parlé à un grand investisseur institutionnel la semaine dernière, possédant plus de 600 milliards de livres sous gestion, et il m'a dit que très souvent les projets gouvernementaux sont fantaisistes. Ils ne voient pas de rendement réel. Comment pouvons-nous faire pour avoir des projets plus attrayants pour les investisseurs privés?"
Guy Verhofstadt, chef du groupe libéral ADLE, a insisté sur le fait que les investissements devaient être soutenus par des réformes structurelles dans les Etats membres. "Les réformes du marché du travail devraient peut-être être une condition nécessaire à l'obtention des fonds", a-t-il suggéré, soulignant la nécessité d'achever les marchés européens uniques du numérique, de l'énergie et des capitaux. "Sans cela, les fonds seront perdus à grande échelle", a-t-il déclaré. Il a également proposé d'exempter d'imp?ts le recours au fonds, afin d'attirer davantage d'investissements privés.
Au nom du groupe d'extrême gauche GUE/NGL, Dimitrios Papadimoulis, s'est adressé à M. Juncker: "Le paquet que vous avez présenté, ce sont juste des paroles vides de sens. 16 milliards d'euros viennent du budget de l'UE et 5 milliards de la Banque européenne d'investissement. Il n'y a pas un seul euro d'argent frais dans ce paquet. Vous avez promis de créer un effet de levier qui multiplierait le fonds par 15. En cette période de stagnation et de récession dans la zone euro, aucun économiste au monde ne peut y croire".
La majorité de ce fonds sera probablement dépensée en Europe du Sud, en plein crise depuis 2008. Cependant, M. Juncker était ferme en affirmant que le choix des projets qui pourrait bénéficier du fonds ne serait pas réduit à une série de listes de souhaits des Etats membres individuels.
"Les silos géographiques n'aideront personne", a-t-il déclaré au PE. "La croissance en France, c'est bon pour l'Italie, et la croissance en Europe du Sud, c'est bon pour l'Allemagne. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous devrons tous nous soutenir mutuellement."