La République populaire de Chine a 70 ans. Les festivités annoncées devaient être grandioses, et le moins que l'on puisse dire est que le mot n'est vraiment pas galvaudé. Pour cet anniversaire, la Chine avait mis les petits plats dans les grands et le défilé qui a eu lieu au c?ur de Beijing était particulièrement impressionnant, et il a sans doute visiblement marqué les esprits. Des parades de ce genre, il n'y en a pas eu beaucoup en Chine car, à la différence de la France où cette manifestation est annuelle, en Chine elle n'a lieu que tous les dix ans, si on excepte celle de 2015 pour le 70e anniversaire de la victoire dans la seconde guerre mondiale. L'édition de 2019 restera sans le moindre doute dans les annales et constituera très certainement une référence en la matière par son ampleur, ses couleurs, sa rigueur et sa perfection.

Il était difficile de ne pas être impressionné, et bien naturellement je l'ai été aussi. Et comme beaucoup d'autres qui ont quelques connaissances sur cet immense pays qu'est la Chine, je me suis dit : quel chemin parcouru en 70 ans ! Certes, c'est devenu un lieu commun de dire que la Chine a accompli en quelques décennies, et en particulier ces 40 dernières années, ce que les pays occidentaux ont mis des siècles à faire, n'empêche. Qu'on y songe : quand Mao Zedong a proclamé la République populaire de Chine au balcon de Tian'anmen, peu auraient parié, y compris en Chine, que le Parti communiste chinois serait encore au pouvoir 70 après, et moins encore que la Chine deviendrait la deuxième puissance économique mondiale. A cette époque, et même il y a une quarantaine d'années, au début de la politique de réforme et d'ouverture, cela relevait quasiment de la science-fiction. Et pourtant...

Pareil événement a bien s?r été couvert par les médias fran?ais, avec plus ou moins de bonheur et d'impartialité. Certains se sont montrés plut?t neutres et objectifs, proposant de véritables dossiers relativement complets et bien documentés, d'autres se sont livrés à une véritable charge en règle, ne voyant que du négatif dans des articles confinant parfois à la malhonnêteté intellectuelle, passant sous silence les réussites incontestables de la Chine depuis 70 ans. Toujours est-il que tous les médias fran?ais ont malgré tout reconnu la parfaite organisation et l'aspect grandiose du défilé, qualifié de colossal, de démonstration de force, n'en retenant le plus souvent que la partie militaire, dans des articles et reportages ou pointe clairement une certaine inquiétude. Et c'est dommage, car la composante de la société civile, une première, était originale et bienvenue. Car n'oublions pas que c'est grace au travail acharné des Chinois depuis des dizaines d'années que leur pays est devenu ce qu'il est aujourd'hui, et il n'était que justice de leur rendre hommage et de reconna?tre leurs mérites en leur permettant d'être aussi présents sur l'avenue Chang'an.

Donc, la Chine inquiète. Ce sentiment, je l'ai déjà remarqué, je l'ai souvent per?u, et bien avant le défilé de ce 1er octobre. Il fut un temps, celui de ma jeunesse, où on avait pitié de ce grand pays où on souffrait encore de la faim. Puis ce fut, à partir des années 1980, le temps de la curiosité, puis celui de l'admiration devant des progrès jamais vus en si peu de temps dans toute l'histoire du monde. La pitié a depuis longtemps, et fort heureusement, disparu, la curiosité est toujours là, parce que la Chine n'a jamais cessé de fasciner, surtout les Fran?ais, et cela depuis des siècles, mais il est vrai que l'admiration me semble céder peu à peu le pas à une certaine inquiétude face à l'hyper-puissance qui se dessine de ce c?té du monde. On me permettra, parce que j'ai la prétention de conna?tre un peu ce pays et ce peuple que je fréquente depuis plus de trente ans, ne ne pas être tout à fait d'accord...

Certes, ce défilé militaire -car c'est tout ce que beaucoup de gens retiendront de ce 1er octobre- ne pouvait laisser indifférent, surtout quand on sait d'où reviennent les forces armées chinoises. Là aussi il y a un monde entre l'armée sous-équipée et dépenaillée de 1949, mais redoutablement efficace et commandée par des généraux particulièrement talentueux, celle de la Guerre de Corée qui vit les forces chinoises infliger à la toute-puissante armée américaine une de ses plus cuisantes défaites en 1951, celle de 1962 qui vainquit les Indiens lors d'une campagne qui étonna le monde, celle de 1979 humiliée par le voisin vietnamien, et l'armée d'aujourd'hui, fière, puissante et de plus en plus moderne. Mais une chose n'a pas changé : l'armée chinoise est par nature défensive, et elle n'a jamais cherché à conquérir un territoire étranger. Il faut aussi comprendre la Chine, conna?tre son histoire, surtout celle des 150 dernières années qui la vit être humiliée et envahie à plusieurs reprises. Pour la Chine, il n'est plus question que cela se reproduise un jour, et il est donc compréhensible qu'elle cherche pour cela à renforcer sa protection et celle de ses ressortissants le cas échéant, où qu'ils se trouvent. Le même sentiment se rencontre dans tous les pays, pourquoi en irait-il différemment de la Chine ?

Bref, ce 70e anniversaire, cette gigantesque parade, ne sont à mon avis rien d'autre que l'expression de fierté d'un pays, un pays fier de retrouver petit à petit sa gloire et sa puissance passées, fier de sa réussite économique, fier d'avoir réussi à nourrir sa population et de lui avoir permis de s'enrichir, fier d'être sur le point d'éradiquer la pauvreté. La grande manifestation militaire et civile du 1er octobre n'est pas autre chose, et il n'y a aucune raison d'y voir une quelconque menace envers quiconque. Ce n'est pas dans les traditions de la Chine. Gageons que, d'ici la prochaine grande parade de 2029, la Chine aura continué à progresser, a s'ouvrir encore, son peuple à s'enrichir, et qu'elle continuera à apporter de nouvelles contributions au monde. Et ce jour-là, peut-être que ceux qui aujourd'hui se sont inquiétés devant cette ? démonstration de force ? se souviendront qu'ils s'étaient trompés...