Par Laurent DEVAUX
La Chine et moi, c'est une belle et longue histoire d'amour. Cela fait plus de 25 ans qu'elle dure, depuis mon premier séjour à Pékin, et elle n'est pas près de finir… pendant ce quart de siècle, j'y ai beaucoup voyagé, j'ai vu beaucoup de choses, j'y ai vécu, j'y ai travaillé. Je suis allé dans les endroits les plus splendides de ce pays qui n'en manque pas, fréquenté les établissements les plus huppés comme les plus modestes. Mais s'il est bien une chose qui m'a marqué en Chine, ce sont, plus que ses monuments et ses paysages, ses habitants.
Pour peu qu'on ait l'esprit ouvert, et un peu de chance aussi, on peut faire des rencontres inoubliables. Comme partout quand on voyage, me direz-vous… certes. Il n'empêche que deux des rencontres les plus marquantes que j'ai pu faire lors de mes nombreux périples autour du monde, c'est bien en Chine qu'elles ont eu lieu, et pas ailleurs. J'ai rencontré bien des gens, dans ce pays aujourd'hui devenu aussi, d'une certaine manière, le mien. Mais certaines m'ont marqué plus que d'autres.
La première eut lieu à l'automne 1990, sur un bateau de ligne reliant Chongqing à Wuhan. J'étais sur ce bateau, en train d'acheter des fruits lors d'une escale, puis ensuite il m'a pris l'envie d'aller discuter avec l'équipage, avec les quelques mots de chinois que je connaissais à l'époque. Curieux comportement d'un Occidental, à l'époque où ils étaient rares en Chine… qui ne manqua pas d'attirer l'attention d'une femme, grande, mince, d'une rare élégance avec sa robe blanche à pois noirs et ses talons hauts, et qui déteignait à bord de ce modeste navire. Nous fin?mes, après qu'elle m'e?t abordé, par sympathiser, avant que je ne refuse son invitation à danser lors du bal du capitaine, par timidité sans doute. Aujourd'hui, je me dis que j'avais sans doute eu tort et que je l'avais peut-être froissée. Je sais qu'en fait il n'en fut rien, mais ce n'est que plus tard que j'appris qu'elle était une militaire de haut rang. Les vicissitudes de la vie et l'éloignement géographique auraient pu faire de cette rencontre un souvenir s'évanouissant dans le lointain, comme la fumée de la cheminée de ce bateau qui fut l'artisan bien involontaire de la naissance de notre amitié qui, plus de vingt ans après, dure encore…
L'autre rencontre marquante eut lieu en 2009, dans le cadre de mon travail au Quotidien du Peuple. C'est là que je rencontrai une de mes collègues, un petit bout de femme d'apparence modeste et d'un age avancé, que, dans mon c?ur, je baptisai bient?t Mamie Liu. D'apparence modeste peut-être… mais il suffisait de fixer son regard pour y deviner une intelligence extrême, une curiosité sans borne et une soif de connaissance inextinguible, dignes de la plus grande admiration compte tenu de son age et –surtout- de son savoir et de son expérience. Jusqu'à ce qu'elle prenne une retraite bien méritée, il n'y eut pas un jour sans que nous e?mes des échanges, sans qu'elle me pose des questions pour améliorer son fran?ais pourtant remarquable. Son départ marqua la fin de notre rencontre, mais il n'en reste pas moins certain que, personnellement, je n'oublierai jamais Mamie Liu…
Un pays, c'est, à l'évidence, une culture, une histoire, un patrimoine. Et je n'apprendrai rien à personne en disant qu'en ce domaine, la Chine est un des pays les plus riches et les plus dignes d'intérêt qui soient dans le monde. Mais, pour ma part, je reste intimement persuadé qu'on ne peut conna?tre un pays, qu'on ne peut l'aimer, si on n'en connait pas les gens qui l'habitent. Ce n'est que de cette manière que l'on peut vraiment dire qu'on le comprend –quoique ce mot me semble bien prétentieux pour un pays comme la Chine, immense, complexe et fascinante ; car sans un peuple, il n'y a pas de culture, pas de monuments, pas d'histoire. Ce sont aussi les rencontres qui font qu'on n'oublie pas un pays, beaucoup plus que ce qu'on y a vu, cela d'autant plus que ces souvenirs-là n'appartiennent qu'à vous. Quant à moi, j'ai fait, sur cette terre jaune, des rencontres inoubliables, de celles qui vous font aimer un pays, ce pays, mon autre pays, la Chine !