Regrettant les entraves ayant entaché la séance de présentation du projet de la nouvelle Constitution, le président de la République tunisienne Moncef Marzouki a formulé ses remarques sur le contenu de ce projet dans une lettre adressée aux 217 élus du peuple tunisien afin de contribuer dans le débat-général lancé par la Constituante depuis lundi 1er juillet courant.
Dressée en date du 30 juin passé et publié mercredi par le quotidien tunisien d'expression arabe Al-Maghreb (Le Maghreb), la lettre de M. Marzouki a comporté une série de constatations sur le projet de la Constitution paraphée le 1er juin 2013 par le président de la Constituante Mustapha Ben Jaafar.
Commentant l'article 5 du projet de Constitution (La Tunisie fait partie du Maghreb arabe et veille à concrétiser son union), le président Marzouki a préféré plut?t le terme "grand-Maghreb" le plus utilisé, selon lui, par les pays membres (Algérie, Mauritanie, Maroc et Libye).
Comme proposé par M. Marzouki, cet article stipule que "la Tunisie fait partie du grand-Maghreb et de la nation arabe, oeuvre à réussir l'union maghrébine en tant qu'étape de l'union des peuples arabes. La Tunisie fait également partie de la nation islamique, de l'Afrique et des Nations-Unies".
Evoquant les articles portant sur la relation entre la religion et l'Etat, le chef d'Etat tunisien a estimé que deux craintes légitimes se présentent à ce niveau : une crainte émanant du clan islamiste et conservateur et une autre affichée par les progressistes et la?cs.
Partant du droit de chaque partie à défendre sa cause, M. Marzouki a précisé dans sa lettre que l'article premier du projet de la Constitution pourrait apporter un consensus en la matière puisqu'il énonce clairement que "la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souveraine : sa religion est l'Islam, sa langue l' arabe et son régime la République".
Pourtant, des réserves ont été avancées par le président Marzouki pour ce qui est de la formulation rédactionnelle de l' article relatif à la gestion de la relation entre l'Etat et la religion.
Le président tunisien a par ailleurs proposé de rectifier les articles portant sur les libertés des citoyens notamment les libertés d'expression, de la recherche scientifique, de l'édition et de la création correspondant respectivement aux articles 30, 31 et 32.
Au chapitre du pouvoir judiciaire, le président tunisien a pointé du doigt deux "dangers extrêmes" soit l'échec de poser l' édifice d'une justice indépendante, soit la préparation d'un "Etat dominé par les magistrats". Dans ce sens, M. Marzouki a critiqué l' article relatif à la désignation, par le parti majoritaire au prochain Parlement, des membres de la Cour constitutionnelle.
Etant l'un des principaux points litigieux persistant entre les islamistes majoritaires d'Ennahdha et leurs opposants figurent la répartition des attributs entre les deux sommets de l'Etat tunisien, son président et son chef de gouvernement.
A ce niveau, M. Marzouki pense que "le débat aigu sur la répartition des prérogatives entre le président de la République et le chef du gouvernement reflète l'existence persévérante de deux projets contradictoires : un régime présidentiel et un autre parlementaire".
D'après M. Marzouki, le consensus autour de cette question ( prérogatives) devra se faire compte tenu d'une expérience historique. "Les Tunisiens ont souffert dans le passé (avant la révolution) d'un parti majoritaire dictatorial (parti du Rassemblement constitutionnel démocratique dissous) d'un c?té et d' une personnalité politique ayant monopolisé le pouvoir à sa guise faisant allusion au président déchu Ben Ali.
Bien qu'il ait garanti le non-retour à la dictature individuelle en limitant les prérogatives du chef d'Etat (deux mandats consécutifs au maximum, possibilité d'être destitué ou jugé après expiration de mandat), le projet de la nouvelle Constitution risque, selon M. Marzouki, de ne pas garantir la domination du parti lauréat des élections, celui qui dirige le gouvernement.
Le futur président de la République tunisienne "devra exercer sa mission en harmonie avec les politiques initiées par le chef du gouvernement", s'est interrogé le chef d'Etat tunisien citant l'un des articles du projet de la nouvelle Constitution.
Sur un autre plan, M. Marzouki a proposé d'attribuer au président de la République la prérogative de dissoudre le Parlement en cas de conflit entre ce dernier et le gouvernement. Une telle situation "pourrait générer une paralysie totale de l' Etat".
Toujours au niveau de la relation entre les deux sommets du pouvoir, l'actuel projet de Constitution stipule que le président de la République établit les politiques extérieures de l'Etat "en harmonie avec les politiques générales du gouvernement" a peu apprécié M. Marzouki.
D'après lui, "cette formule fait du président de la République, élu au suffrage universel, un simple exécuteur des politiques générales de l'Etat arrêtées par le chef du gouvernement". Dans ce cas, il sera question aux yeux de M. Marzouki de faire des deux sommets du pouvoir (président et Premier ministre) deux partenaires dans l'élaboration des politiques générales du pays y compris la politique extérieure.