Dernière mise à jour à 09h43 le 10/11
Lors de la conférence baptisée "Villes et citoyens" pour l'Europe sur le thème "Quelle Europe après le Brexit?", organisée mercredi dans la capitale alsacienne dans le cadre de la 14e rencontre annuelle du réseau européen du "Club de Strasbourg", experts, responsables politiques et citoyens ont délivré leur diagnostic sur les maux dont souffre l'Union européenne et prescrit des remèdes pour la remettre sur les rails.
"Dès le lendemain du référendum britannique du 23 juin, j'ai appelé de mes voeux cette conférence citoyenne. Le Brexit a touché en plein coeur le projet européen. Ce n'est une bonne nouvelle, ni pour le Royaume-Uni, ni pour l'Europe dans son ensemble", a déclaré le maire socialiste de Strasbourg, Roland Ries, en accueillant les participants de la rencontre annuelle du "Club de Strasbourg".
Ce réseau, créé en 2003 "pour accompagner l'élargissement de l'Union européenne (UE) aux pays d'Europe centrale et orientale, rassemble maires et élus de la soixantaine de villes qui en sont membres, mais aussi experts, personnalités des institutions européennes, représentants de la société civile. Il travaille en collaboration avec le Conseil de l'Europe et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.
"Le projet européen sera citoyen ou ne sera pas", a lancé l'édile strasbourgeois, dans son discours introductif à la conférence "Quelle Europe après le Brexit?". "Il faut essayer de positiver le Brexit, qui, je pense, a sanctionné une dérive de la construction européenne, devenue une sorte de création de zone de libre échange et de normes européennes qui a dilué l'essentiel. Le Brexit peut devenir une opportunité. Pour cela, il faut changer de logiciel et retrouver l'ADN des Pères fondateurs", a affirmé M. Ries.
Pour la professeure de droit européen à Sciences Po Strasbourg et au collège d'Europe de Bruges, Frédérique Berrot, le Brexit et la victoire de Donald Trump aux élections américaines - qui était sur toutes les lèvres des participants à la conférence - ont "en commun un protectionnisme présenté comme une solution de libération". Ils participent de la même "défiance envers les parlementaires, experts, ceux issus du "système" et reposent sur "l'opinion générale répandue que l'establishment est nécessairement corrompu ", relève la directrice de la Fédération de recherche Université de Strasbourg/CNRS.
Le malaise démocratique qui secoue de nombreux pays d'Europe "prospère parce que l'on est en crise", souligne Frédérique Berrot. "A quelques jours du vote, le Brexit était une solution qui n'était pas pensée, probablement parce qu'elle n'était pas pensable", ajoute-t-elle avant de s'interroger : "Mais comment gérer démocratiquement l'après?"
La situation est en effet loin d'être simple outre-Manche. Le 3 novembre, la Haute cour de justice de Londres a dénié au seul gouvernement britannique le pouvoir de déclencher seul la procédure de sortie de l'UE. Une décision qui pourrait affaiblir la position de la Première ministre Theresa May dans les négociations avec les Vingt-sept, diviser la classe politique et retarder le Brexit. Jusqu'où vont les lignes de négociation? Sur ce point, il n'y a pas de consensus au Royaume-Uni.
"Comment le Parlement britannique pourrait-il dire que le peuple s'est trompé? C'est un sac de noeud politique et juridique pour Theresa May mais elle va finir par trouver une solution. Le retrait est juridiquement possible, il est très compliqué à gérer mais est-ce vraiment un problème pour l'UE?", questionne la professeure en rappelant le statut dérogatoire dont bénéficiait déjà le Royaume-Uni.
Le conseiller de l'Institut Jacques Delors, Alain Dauvergne, renchérit : "Les médias ont présenté le Brexit comme un camouflet pour l'Europe. Pourquoi? Le Royaume-Uni n'a pas dit qu'il était dé?u par l'Europe, il a exprimé par ce vote sa crainte de l'immigration et une volonté très forte de reconquérir sa souveraineté". "La réalité du Brexit, à mon avis, n'est pas un échec de l'Europe. Pour pousser le paradoxe, on pourrait même dire que c'est plut?t un succès dans le sens où l'Europe, avec l'Eurozone notamment, a trop progressé au go?t des Britanniques", avance-t-il.
"Il s'agit maintenant de savoir si c'est un divorce d'avec l'UE par consentement mutuel ou un divorce pour faute", s'amuse le conseiller. "Quoi qu'il en soit, la procédure sera très longue. Le Brexit n'était pas préparé par les Britanniques. Ce sont de très bons négociateurs, ils vont essayer de diviser les 27 pour obtenir le maximum d'avantages", pronostique-t-il.
Mme May a annoncé le 2 octobre dernier que Londres activerait l'article 50 du Traité de Lisbonne "avant fin mars" 2017 afin de déclencher la procédure de sortie de l'UE. Une fois l'article 50 activé, le Royaume-Uni aura deux ans pour régler les modalités de son départ, un délai toutefois susceptible d'être prolongé. Les négociations pour aboutir à un "accord de retrait" s'annoncent des plus complexes. D'autant qu'il doit être conclu au nom de l'UE par le Conseil européen, à une majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.
"Avec le Brexit, on redécouvre des électorats oubliés, qui, c'est une nouveauté, se mobilisent. Mais ce n'est pas l'apanage du Royaume-Uni", souligne de son c?té le professeur d'histoire contemporaine à Sciences Po Strasbourg Sylvain Schirmann.
"Le référendum qui aura lieu en Italie début décembre sur une réforme constitutionnelle en vue d'une simplification institutionnelle va-t-il vraiment répondre à cette question là? On peut en douter. De même, les dernières élections régionales en Allemagne n'ont manifestement pas correspondu aux souhaits des deux partis au pouvoir. Tout cela doit interpeller les responsables", plaide-t-il.
"La culpabilisation des 'mauvais élèves' de l'Europe n'est pas une bonne fa?on pour sortir de la crise", insiste le professeur Schirmann.
Le Royaume-Uni veut dans le même temps conserver son marché intérieur tout en refusant la libre circulation des personnes, s'accordent les trois experts. Une question qui, sous la pression de la crise migratoire, fait débat dans de nombreux Etats membres de l'UE.
"A l'intérieur de l'UE, j'ai de graves préoccupations par rapport à certains pays de l'Est entrés en 2004, notamment sur la question des réfugiés. Ils refusent le principe de solidarité alors qu'ils sont les principaux bénéficiaires des fonds européens", rappelle le conseiller Alain Dauvergne.
Autre défi majeur pour l'avenir de l'UE : le projet européen, facteur de paix et de stabilité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne fait plus rêver, concèdent les experts.