La lutte contre l'islamophobie qui ravage l'Europe passe nécessairement par une définition légale et par la création d'un arsenal juridique à l'échelle européenne, a plaidé mercredi à Strasbourg, au Conseil de l'Europe, l'association ORIW (Organisation Racism Islamophobia Watch).
"Il est de notre responsabilité à tous, quelle que soit notre confession, de mener le combat contre un phénomène qui mine le vivre ensemble et sape la cohésion sociale. Le Conseil de l'Europe (CoE), le Parlement européen (PE), et la Cour européenne des droits de l'homme ont un r?le crucial à jouer pour contribuer à une définition juridique de l'islamophobie. C'est une condition essentielle pour que la lutte porte ses fruits", a affirmé l'islamologue Yanis Mahil lors d'un événement organisé en marge de la session plénière d'été de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE).
Le consensus prévaut quant à la gravité et à la forte augmentation des actes à caractère anti-musulmans, surtout depuis les attentats meurtriers de Paris en janvier. Dans les deux semaines qui ont suivi, on a en effet dénombré en France autant d'actes islamophobes que pendant toute l'année 2014, soit une augmentation de 70%. Entre le 7 et le 19 janvier, le ministère fran?ais de l'Intérieur en a recensé 116. Pour la première fois, ces chiffres dépassaient ceux du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), souvent taxés d'alarmisme.
La nécessité d'une définition de l'islamophobie, cependant, est loin de faire l'unanimité. L'usage du terme même est contesté. Particulièrement dans l'Hexagone.
"Le militant antiraciste d'hier est en train de se transformer en boutiquier hyper spécialisé. Lutter contre le racisme, c'est lutter contre tous les racismes, lutter contre l'islamophobie, c'est lutter contre quoi?", écrit le dessinateur Charb assassiné dans l'attentat du 7 janvier dans sa Lettre, posthume, "aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes".
Une "pseudo-argumentation", rétorque Yanis Mahil qui dénonce un "agenda idéologique". "Certains sont allés jusqu'à soutenir que le terme avait été inventé par les mollahs iraniens en 1979 alors que le terme n'existe ni en langue persane ni en arabe, mais qu'on le trouve utilisé par des auteurs fran?ais dès la fin du 19ème siècle", affirme l'islamologue. "Pour pouvoir recenser les actes islamophobes, il est évident qu'il faut qu'ils soient définis", argumente-t-il.
Le mot "islamophobie" a fait son entrée dans la dernière édition du dictionnaire Le Robert qui le définit comme une "forme particulière de racisme dirigée contre l'islam et les musulmans". Son usage n'en continue pas moins de diviser, y compris au plus haut niveau de l'Etat. "La France lutte de manière implacable contre le racisme, contre l'antisémitisme, contre l'islamophobie", a déclaré le 16 janvier le président de la République, Fran?ois Hollande. Son Premier ministre Manuel Valls, lui, se refuse catégoriquement à employer le terme, un "cheval de Troie des salafistes", assène-t-il.
Au-delà de la querelle sémantique se cache le manque de courage des pouvoirs publics, affirme Yanis Mahil qui cite le sociologue Abdellali Hajjat, auteur d'un ouvrage sur l'islamophobie paru en 2013 : "Son usage est révélateur de la volonté, ou non, de reconna?tre l'existence des actes et discours racistes fondés sur la supposée appartenance à la religion musulmane".
"L'islamophobie prend plusieurs visages et plusieurs formes. C'est un ensemble de préjugés, de peurs et de haines à l'encontre les musulmans qui vont se traduire par des actes de violence, de discriminations et de stigmatisations en raison de leur appartenance réelle ou supposée à l'islam", défend l'islamologue.
"L'islamophobie est différente d'un simple sentiment anti-religieux ou anti-immigrés", renchérit de son c?té la coordinatrice de l'association ORIW qui ?uvre depuis 2013 à la reconnaissance du terme. "La Commission consultative fran?aise des droits de l'homme a validé le terme en 2014. Une définition claire au niveau international permettrait indéniablement de faire avancer les choses. La reconnaissance par le Conseil de l'Europe aiderait énormément", ajoute-t-elle.
Difficile, cependant, d'étudier la question de l'islamophobie sans prendre aussi en considération le phénomène de radicalisation de jeunes Européens d'origine arabo-musulmane, deux phénomènes qui semblent s'alimenter l'un l'autre. Le professeur Tahir Abbas, du département de sociologie de l'Université Fatih d'Istanbul l'a rappelé mardi, lors d'une réunion de l'Alliance parlementaire contre la haine organisée conjointement avec la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. "En Europe occidentale, parallèlement à la recrudescence de l'islamophobie, se développe aussi de fa?on inquiétante une radicalisation des jeunes. Ils sont de plus en plus nombreux à venir de France, du Royaume-Uni, d'Allemagne, des Pays-Bas et à partir se battre pour Daesh".
"Il faut à tout prix arrêter la confusion entre islam, terrorisme et salafisme. Il faut lutter avec force contre la ségrégation scolaire: les écoles ethnicisées sont une véritable bombe pour nos sociétés. Il faut revaloriser la notion de communauté qui n'est pas le communautarisme", a affirmé Bernard De Vos, délégué général aux droits des enfants de la Fédération Wallonie.