"Nous pouvons utiliser des robots, mais nous devons faire attention à ne pas devenir des robots nous-mêmes", a alerté Rinie van Est, expert néerlandais en science et technologie, lors d'un entretien avec Xinhua après sa participation à une conférence de bioéthique à Strasbourg.
M. van Est est un responsable de recherche à l'Institut Rathenau de La Haye aux Pays-Bas où il travaille depuis 1997, et ses travaux sur les technologies émergentes sont régulièrement utilisées par le Parlement néerlandais, et récemment commandées par le Parlement européen tout comme le Conseil de l'Europe.
"Le fait est que, pour utiliser la robotique, nous devons d'abord réorganiser notre fa?on de vivre", a-t-il dit et de se demander : "Dans quelle mesure rendons-nous en réalité notre monde favorable aux robots, et dans quelle mesure cela se passe aux dépends des humains ?"
Lors de ses activités à Strasbourg auprès du Conseil de l'Europe, il a distribué des exemplaires d'un essai publié pour l'Institut Rathenau, "Intimate Technology : The battle for our body and behavior" (Technologie Intime : La lutte pour notre corps et notre comportement), dans lequel il examine les ramifications de ce qu'il considère comme une grande tendance dans le monde de la technologie actuelle : sa proximité grandissante avec le corps humain et sa connexion avec un monde régi par les données numériques.
"Pour expliquer la technologie intime, je dis qu'il se passe deux choses. Alors, l'ordinateur devient de plus en plus petit : c'est la miniaturisation, c'est l'aspect 'nano' de la technologie. Cette dernière devient très proche de vous, mais comme elle se rapproche de plus en plus, elle peut déterminer toutes sortes de choses à propos de vous" .
L'un de ses premiers exemples est la chaussure Nike+, à laquelle est intégrée une puce électronique qui collecte des informations sur les pas de celui qui la porte. Cela permet à l'utilisateur de mesurer sa performance et de partager les informations avec les autres.
"La tendance d'un point de vue technique est que la technologie devient plus proche du corps, mais qu'en même temps elle est connectée à internet, donc les données que vous collectez sur vos activités sportives, vous pouvez les partager avec d'autres personnes par le biais des réseaux sociaux, mais elles parviennent également à Nike" .
La question soulevée par M. van Est concerne la fa?on dont ces données seront utilisées, par qui et au bénéfice de qui. Dans l'exemple de Nike+, il a rapidement indiqué que les données qui mesurent la fa?on dont quelqu'un marche peuvent être utilisées pour les performances sportives, mais également pour prévenir de la démence. Ainsi, elles passent de données de performances personnelles à données biologiques et dans ce cas au moins, sont contr?lées par de grands groupes.
"Pendant les cinq ou dix dernières années, nous avons été habitués à donner gratuitement nos données sociales aux grandes entreprises, a-t-il expliqué. En ce moment, nous commen?ons à le faire à une échelle massive avec nos données biologiques et nous devons être au courant de cela" .
"Sommes-nous conscients de ce que les entreprises ou gouvernements peuvent faire avec ce type de données ?"
De telles enquêtes ont mené M. van Est à étudier le coaching en ligne dans "Sincere support : The rise of the e-coach" (Soutien sincère : l'avènement du coach en ligne) pour l'institut Rathenau. Le coaching en ligne induit un large panel d'outils, généralement accessibles sous la forme d'applications pour smartphones, lesquelles recueillent les données des utilisateurs afin de les "coacher" dans plusieurs activités, qu'il s'agisse de sport, de régime ou de sommeil.
"Si vous examinez le coaching en ligne, c'est un dispositif qui peut avoir un énorme impact sur votre vie sociale. Il intervient de fa?on comportementale. Vous pouvez dire qu'il s'agit là de techniques d'ingénierie sociale" .
"Lorsque nous avons de réels coachs, nous suivons toutes sortes de principes afin de s'assurer que cette pratique de coaching est bénéfique pour les gens" , a-t-il expliqué en passant en revue des principes tels que la confidentialité, le fait d'être au courant des nouveautés dans le champ concerné ou encore le consentement éclairé. Ces mêmes principes ne sont cependant pas toujours existants avec les outils de coaching en ligne.
"Nous semblons avoir oublié que nous avions une sorte de pratique qui s'est développée au cours des ans et qui est guidée ou gouvernée par ces principes, qui sont très raisonnables" .
Cette observation mène au c?ur des préoccupations de M. van Est et de son travail : regarder combien nous vivons dans un monde de plus en plus technologique, mais sans perdre les facultés que l'humanité a développées au cours de l'histoire des espèces.
"Nous avons toujours utilisé la technologie pour contr?ler notre environnement, mais depuis la Seconde Guerre Mondiale, nous utilisons de plus en plus la technologie afin de prendre le contr?le sur nos corps, mais aussi nos vies sociales" .
"Nous devons être conscients de cette grande tendance et la voir peut-être non pas comme une chose inévitable, mais plut?t comme une chose qu'on peut fa?onner; nous la fa?onnons constamment en faisant tous types de choix politiques et économiques" .
Ce souci de connaissance occupe une place centrale dans son plus récent travail sur la robotique.
"Dans quelle mesure sommes-nous en train d'informatiser, de robotiser ou d'organiser nos vies sociales de différentes fa?ons? C'est une grande question : devenons-nous plus ou moins humains en le faisant?"
L'argument final de son essai serait pour les humains de devenir ce qu'il appelle un "wild cyborg" (cyborg sauvage), embrassant le progrès technologique, mais pas aux frais de nos caractéristiques humaines.
"Laissons-nous pratiquer la technologie intime de telle fa?on à devenir des cyborgs humains. A ce que les interactions propulsées par la machine restent humaines par nature. Et en déployant des machines avec des traits de vraies personnes, nous le faisons de fa?on humaine", a-t-il déclaré.