L'urgence et la nécessité de d' accélérer les procédures pour trouver des traitements et des vaccins contre la fièvre à virus Ebola en Afrique de l'Ouest, ont été soulignées par Professeur Souleymane Mboup, co-président du Comité d'organisation du Forum de Dakar (19/20 janvier), dans une interview accordée à Xinhua.
Ce médecin spécialiste sénégalais qui a été, avec son équipe, le premier à décrire le VIH2, forme de sida touchant l'Afrique de l'Ouest, insiste sur la nécessité de la recherche et de la création d'un organisme régional de recherche et de surveillance de l'épidmie.
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Xinhua : Professeur, qu'est-ce qui justifie cette nécessité d' accélérer l'évaluation des essais cliniques ?
Il n'y a pas encore de vaccins et de traitements contre Ebola alors qu'une épidémie a une durée limitée. Il y a donc un défi à relever. Il faut pouvoir vraiment démontrer l'efficacité des traitements et des vaccins qu'on est en train de tester. La procédure habituelle prend du temps mais devant l'urgence de l' épidémie il faut aller très vite. En période de crise sanitaire on est obligé d'accélérer les procédures à tous les niveaux. C'est un nouveau paradigme, il faut s'y habituer. Il faut faire en sorte qu' on ait des essais cliniques qui puissent se faire dans les règles d'éthique mais qui puissent également permettre d'aboutir à des résultats avant la fin de l'épidémie.
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Xinhua : Quelle est la procédure normale à suivre lorsqu'on fait des essais cliniques ?
Habituellement il y a trois phases. La Phase 1 qu'on fait avec un petit nombre de personnes pour montrer que le vaccin n'a pas d' effets néfastes. Cela peut durer une année. Ensuite il y a la phase 2 qui peut prendre presque deux années et qui permet de confirmer les résultats de la première phase. Elle peut aussi donner une idée de l'efficacité des traitements et vaccins testés. Ce sont des tests qu'on peut faire même avec des personnes qui ne sont pas en contact avec les malades. C'est pour cela qu'on va débuter, au Sénégal, un essai de phase 2 sur Ebola. On veut faire les essais cliniques dans des délais extrêmement limités. On a commencé la phase 1 il y a quelques mois. Avant qu'elle ne se termine on a débuté la phase 2. On a même commencé à préparer la phase 3 parce qu'il faut aller vite. On veut que, dans l'année, il y ait une information sur l'efficacité des essais cliniques pour qu'on puisse utiliser les produits dont certains sont en stock. On a fortement besoin d'avoir un vaccin. C'est la raison pour laquelle on a organisé ce forum pour accélérer les choses afin de trouver des traitements et des vaccins éventuels.
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Xinhua : En dehors de ces essais cliniques effectués sur des personnes, existe-t-il-d'autres méthodes explorées pour trouver des traitements et vaccins ?
Il y a la possibilité d'utiliser des plasmas des convalescents. Là on peut aller relativement vite. C'est aussi un autre défi pour qu'on ait au moins des traitements et des vaccins efficaces contre Ebola mais également contre les autres épidémies à venir. On peut être guéri et avoir suffisamment d'anticorps dans le sang. C'est pour cela qu'on parle de sujets convalescents. On a déjà utilisé les plasmas pour des épidémies d'Ebola mais on ne l'a jamais fait pour des essais cliniques afin de conna?tre leur efficacité réelle. On prend donc le plasma d'un sujet convalescent qu'on nettoie de manière à ce qu'il n'y ait aucun risque. On l'utilise après pour quelqu'un qui a la maladie. Avec ce traitement on conna?t aussi la génétique des anticorps. Quand on a un certain type d'anticorps on guérit de la maladie. Ce sont donc les plasmas des sujets guéris qu'on injecte à d'autres pour les protéger. Les connaissances actuelles montrent que ces plasmas sont sans danger puisqu'on enlève tous les pathogènes. On peut même aller loin avec les plasmas c'est-à-dire qu'on peut les fractionner pour prendre les anticorps. C'est un autre matériel qui va être plus concentré mais qu'on peut utiliser.
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Xinhua : Est-ce que les sujets convalescents donnent facilement leurs plasmas ?
Absolument. Il y en qui ont participé au Forum de Dakar. Ils ont intervenu durant la conférence. Ils sont très engagés à aider bénévolement. Pour l'instant le problème est beaucoup plus technologique. C'est comment faire pour que les prélèvements aillent ailleurs pour être traités. Il faut des technologies extrêmement complexes qu'on n'a malheureusement pas en Afrique. Il n'y a que l'Afrique du Sud qui en dispose mais la Fondation Bill et Melinda Gates a mis des moyens considérables pour doter les principaux pays qui sont touchés par l'épidémie de ces technologies.
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Xinhua : Quel traitement administre-t-on actuellement aux malades d'Ebola ?
La plupart des traitements sont des traitements pour éviter les manifestations cliniques et pour maintenir le malade dans des conditions qui lui permettent de traverser la période critique. Cette période dure à peu près une à deux semaines et durant cette phase on a assez d'anticorps pour lutter contre certaines complications. Donc le traitement dépend des manifestations cliniques. Il n'y a pas un traitement spécifique et maintenant on cherche à avoir des médicaments spécifiques qui peuvent être utilisés contre le virus.
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Xinhua : Quel dispositif de prévention sécuritaire faut-il mettre en place pour éviter la résurgence d'un virus comme Ebola ?
Il y a les maladies émergentes et ré-émergentes. Toutes ces maladies ont le potentiel de revenir. Ebola est connu depuis 40 ans et on a aussi connu des épidémies qui ré-émergent de temps en temps. Il faut prendre cela en compte. C'est très important que des pays comme le Sénégal, le Nigéria et le Mali aient démontré qu' on peut agir efficacement contre ces épidémies. Ce sont des exemples que même des pays développés apprennent de nous. Le dispositif doit être maintenu et dans le cadre du Sénégal on a mis en place un dispositif d'urgence pour toutes les maladies telles qu'elles soient et qui permet de réagir. Il faut que le dispositif soit en veille pour éviter une résurgence. Il faut aussi renforcer la recherche qui est incontournable et surtout la surveillance pour que chaque pays soit capable de diagnostiquer les maladies émergentes et ré-émergentes et d'avoir toutes les conditions pour prendre en charge les patients. C'est ce qui a manqué aux pays ouest-africains quand Ebola s'est déclaré. Je pense qu'il y a un potentiel de recherche qui n'est certainement pas suffisant mais tous les partenaires sont très enclins à accompagner les chercheurs de la sous-région.
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Xinhua : Il a été question de stratégies régionales pour faire face à Ebola. En quoi est-il important d'avoir des positions communes en cas d'épidémie ?
L'épidémie d'Ebola est un problème ouest-africain. Il faut donc que le leadership africain soit affirmé au niveau politique et scientifique. On doit se préparer à l'arrivée d'autres épidémies, parce qu'il y en aura, pour qu'on puisse réagir vite et éviter la forte mortalité qu'on a constatée avec Ebola. L'autre recommandation forte du forum c'est la mise en place d'un organisme régional de recherche et de surveillance avec des antennes nationales comme ce qui se fait aux Etats-Unis avec le Centre pour le contr?le et la prévention de maladies (CDC). Là-bas dès qu'il y a une maladie, il y a toute une structuration pour faire face. Un organisme régional permet à l'Afrique de l'Ouest d' investiguer et d'intervenir rapidement au lieu d'attendre l'aide des autres. On a aussi beaucoup appris des autres épidémies comme le Sida avec l'implication des communautés et des malades. Il faut utiliser cet exemple dans le cas d'Ebola. Il faut impliquer les survivants d'Ebola qui ont un r?le fondamental à jouer.