A l'issue des élections législatives du 26 octobre 2014 tout comme les deux tours de l'élection présidentielle (respectivement le 23 novembre et le 21 décembre courants), les Tunisiens ont émis, via les urnes, une série de messages codés à leurs nouveaux dirigeants qui n'auront, à vrai dire, aucun intérêt à refaire les erreurs commis sous le régime déchu de Ben Ali ou encore ceux des deux gouvernements post-révolution à majorité islamiste.
Le Président-fondateur de "Nidaa Tounes", Béji Ca?d Essebsi, a gagné la présidentielle avec 55,68% face au président sortant Marzouki (44,32%). En effet, le premier message émis par le peuple tunisien a été adressé au parti islamiste Ennahdha qui dominait les deux pouvoirs législatif (Assemblée constituante) et exécutif (primature) depuis la révolution de janvier 2011 ainsi que ses alliés, le Forum démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL) et le Congrès pour la République (parti du président sortant Moncef Marzouki).
Les Tunisiens ont écarté les islamistes d'Ennahdha du pouvoir législatif du pays en votant son principal rival, le parti "Nidaa Tounes" (Appel de Tunisie) dirigé par Béji Ca?d Essebsi (88 ans), ancien haut responsable sous Bourguiba (premier président tunisien, 1957-1987) et Ben Ali (1987-2011) mais aussi fraichement élu nouveau président de la Tunisie d'après les résultats préliminaires du second tour présidentiel.
D'après certains observateurs locaux, la réaction des électeurs tunisiens lors des législatives a été dictée essentiellement par les échecs des deux gouvernements dirigés par Ennahdha à redresser la situation sécuritaire (menace terroriste et deux assassinats politiques) et à trouver des solutions à la détérioration des principaux équilibres économiques du pays.
Le deuxième message émanant des Tunisiens à travers les urnes législatives vise le parti victorieux du scrutin, "Nidaa Tounes" qui a eu 86 sièges au sein de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple (APR).
A ce niveau, le message demeure plus pertinent et significatif puisque "Nidaa Tounes" a gagné, certes, mais il n'a pas bénéficié d'une majorité assez suffisante pour dominer le pouvoir législatif, soit les des deux tiers des 217 députés de l'APR. Ainsi, les Tunisiens ont parié sur ce parti post-révolution connu pour être un réservoir de compétences capables de relancer principalement l'économie tunisienne.
Cependant, le parti "Nidaa Tounes" ne sera pas dans une "gérance libre" du fait que les Tunisiens ont encore une fois imposé leur volonté à travers l'élection d'Ennahdha comme étant le deuxième poids politique à l'APR avec 69 sièges.
Par voie de conséquent, les deux "frères ennemis" de la scène politique tunisienne ne pourront que cohabiter ensemble et coordonner pour l'intérêt suprême de la Tunisie: un autre message fort émis par les Tunisiens à travers le scrutin législatif du 26 octobre 2014.
Ce choix a trouvé très rapidement son reflet à travers la réaction d'Ennahdha lors du premier tour de l'élection présidentielle. Le commandement islamiste a annoncé officiellement qu'il ne soutiendrait aucun des deux candidats à savoir Béji Ca?d Essebsi et le président sortant Moncef Marzouki.
Au deuxième tour de la présidentielle, le message des Tunisiens a trouvé encore une fois son impact au fond du parti islamiste. Ennahdha a maintenu la même distance des deux candidats mais a indirectement reconnu que les Tunisiens avaient raison et que la relance de la Tunisie nécessite l'injection d'un "nouveau sang" à la tête de son administration politique et économique.
A l'issue des résultats définitifs du scrutin présidentiel, les Tunisiens émettent encore une fois un message au nouveau président de la République. Ce dernier devra être le président de tous les Tunisiens et non pas de certaines catégories, classe sociale ou de certaines régions.
Preuve en est les discours de deux leaders tunisiens Béji Ca?d Essebsi (Nidaa Tounes) et Rached Ghanouchi (Ennahdha). "L'élection présidentielle était une grande fête de la démocratie tunisienne où il n'y a ni gagnant ni perdant", a déclaré Ghanouchi à l'un des médias turcs avant de commenter que "le peuple tunisien a voté pour Béji Ca?d Essebsi afin de parvenir à la stabilité et éviter les conflits entre les différentes factions politiques".
Le dernier message émis à Béji Ca?d Essebsi et à son parti "Nidaa Tounes" à travers le scrutin de l'élection présidentielle a été émis par le centre et le sud du pays, précisément les provinces de Kébili, Tozeur, Gafsa (sud-ouest), Tataouine, Médenine, Gabès (sud-est), Kasserine (centre-ouest) et Sfax (centre). En fait, ces neuf circonscriptions électorales ont voté pour Marzouki d'autant plus que, le lendemain de l'annonce des résultats préliminaires, des émeutes se sont déclenchés protestant contre la victoire de Béji Ca?d Essebsi faisant des dizaines de blessés entre manifestants et agents des forces de l'ordre.
Très rapidement, le nouveau président élu intervint pour confirmer avoir saisi le message: "résoudre les problèmes sociaux et économiques hérités du régime Ben Ali (...) et rétablir la sécurité dans un pays confronté à ses frontières par le terrorisme et renforcer la démocratie naissante".
Certains observateurs locaux et étrangers imputent la "redistribution des cartes" sur la scène politique tunisienne en 2014 aux métamorphoses survenues à l'échelle régionale voire même internationale tout au long des trois dernières années. Il s'agit, principalement, d'une décadence au c?ur de la confrérie des "Frères musulmans" notamment en Egypte et plus récemment en Irak et en Syrie.