Il y a trois ans, l'Université Renmin de Chine a fait la une des journaux nationaux quand elle est devenue le premier établissement du pays à offrir un dipl?me de ma?trise en études anti-corruption.
Le mois dernier, l'université a de nouveau fait la une, mais pour des raisons moins glorieuses. Cai Rongsheng, responsable de l'admission des étudiants à Renmin -l'un des établissements d'enseignement les plus prestigieux de Chine- a été arrêté alors qu'il tentait de fuir le pays.
Alors que l'enquête sur Cai continue, on a également appris il y a deux semaines une autre personnalité importante, Yi Xiaoyu, Vice-président de l'Université du Sichuan, l'établissement le plus respecté dans le sud-ouest de la Chine, fait l'objet d'une enquête suite à des allégations de corruption liées à la construction d'un nouveau campus.
Alors que les dirigeants de la Chine étendent le cadre d'une campagne anti- corruption qui a vu le vice-ministre de la Sécurité publique Li Dongsheng devenir objet d'une enquête la semaine dernière, les tours d'ivoire que sont les universités prestigieuses se sont révélées n'être pas à l'abri. Pas moins de cinq présidents d'université ont démissionné cette année seulement, après avoir fait l'objet d'accusations de corruption.
Selon les experts, les enquêtes sur les dirigeants des universités peuvent être simplement la partie visible d'un iceberg de la corruption dans le secteur de l'éducation et la question pourrait se révéler co?teuse pour la Chine à long terme.
? Les problèmes sur les campus n'ont pas été l'objectif principal de la lutte contre la corruption au cours des dernières années, mais à en juger par les récents événements, le problème est grave. D'autres cas sont très susceptibles d'être révélés, si les enquêtes sont intensifiées ?, a dit Ren Jianming, Directeur du Centre de recherche et d'enseignement de gouvernance propre à l'Université de Beihang à Beijing.
Les responsables d'université peuvent être considérés comme du menu fretin par rapport aux hauts responsables de gouvernement et d'entreprises publiques en termes d'argent impliqué, mais leur corruption est d'un type unique aux institutions universitaires -principalement centrées autour de l'inscription des étudiants et de l'allocation des fonds de recherche- ce qui pourrait, avertissent les experts, avoir un impact direct en entravant la mobilité sociale et en ralentissant le rythme de l'innovation.
En Chine, obtenir l'admission dans une université de premier niveau peut être une occasion de changer de vie pour les étudiants de milieux modestes, ce qui signifie qu'une faute dans le processus d'admission constitue un danger fondamental pour la justice sociale, a dit M. Ren.
? Cela peut même avoir une influence négative sur les valeurs propres des élèves car l'université est un moment crucial, au cours duquel beaucoup d'entre eux apprennent leurs valeurs pour la vie ?, a déclaré Guo Yong, Vice-directeur du Centre de recherche et d'éducation en gouvernance propre à l'Université Tsinghua.
Les universités ne sont pas une ? terre pure ?
Selon les experts anti-corruption, la corruption dans les universités, comme celle du Gouvernement, résulte d'un pouvoir très centralisé, d'un manque de transparence et de surveillance.
? Les gens pensent que l'université est une ‘terre pure', mais à mon avis, elle n'est pas pure du tout. Les universités sont un microcosme de la société, il est donc impossible d'éviter les problèmes qui prévalent dans la société en général et la corruption en fait partie ?, dit Yuan Guilin, Professeur d'éducation à l'Université Normale de Beijing.
En Chine, les présidents des universités publiques sont nommés par le Gouvernement. à la fin de l'année dernière, 1 735 des 2 442 présidents avaient été nommés par le gouvernement, ceux qui n'ont pas été nommés par les autorités travaillent tous dans des établissements privés.
Chu Zhaohui, chercheur principal à l'Institut National de l'Education, a fait valoir que les présidents d'université devraient être élus par leurs pairs et les étudiants. Idéalement, ils devraient avoir une bonne expérience de l'enseignement et de la recherche, qui contribuerait à créer un environnement propice aux universitaires pour se concentrer sur la recherche et les études, a-t-il dit.
? Je connais une université où quatre hauts dirigeants sont partis à la retraite cette année. L'élection a eu lieu et quatre professeurs ont obtenu le plus grand nombre de voix. Toutefois, à la surprise de beaucoup de gens, les professeurs ont finalement perdu. Les quatre postes ont été octroyés à des membres du personnel administratif nommés directement par le niveau supérieur du gouvernement. L'affaire a fait très mauvais effet sur le moral des enseignants et des étudiants ?, a-t-il dit.
Dans de nombreuses universités privées à l'étranger, l'organe de décision le plus élevé est un conseil d'administration et le président est engagé et supervisé par un solide mécanisme de contr?le, a noté M. Yuan.
Une fuite des talents
Dans une note positive, un plan de réforme très attendu et de grande ampleur, adopté lors d'une réunion clé du Parti le mois dernier, a reconnu la nécessité d'un changement dans le secteur de l'éducation.
Le plan vise à accro?tre l'autonomie des universités et à améliorer la gouvernance interne. Il supervisera également la suppression progressive du système de classement des fonctionnaires dans les établissements scolaires et universitaires.
Dans le système actuel, les présidents d'université sont affectés à des niveaux spécifiques en vertu d'un système de classement politique, qui s'applique également aux responsables du Gouvernement et aux dirigeants des entreprises publiques.
Par exemple, les présidents et les secrétaires du Parti de plus de 30 universités prestigieuses sont classés au niveau vice-ministre, et c'est ainsi le cas du président du géant du pétrole PetroChina.
Les responsables d'université, des doyens aux directeurs d'admission des étudiants, sont classés en conséquence. Un rang plus élevé se traduit toujours par une voix plus forte dans le processus de prise de décision, y compris l'allocation des fonds de recherche.
? Lorsque j'ai étudié au Royaume-Uni, personne n'était désireux de devenir doyen parce que cela signifiait se mettre au service de la faculté, et chacun préférait se concentrer sur ses recherches. Mais en Chine, tout le monde veut devenir responsable, car cela conduit à un contr?le des ressources ?, a dit He Zengke, chercheur émérite au Bureau central de compilation et de traduction, qui a étudié dans deux universités du Royaume-Uni -Bradford et Nottingham- en 1997 et 1998.
Dans un éditorial publié en 2010 dans la revue Science, Rao Yi, Doyen de l'école des sciences de la vie à l'Université de Pékin, et son homologue de l'Université Tsinghua, Shi Yigong, ont attiré l'attention sur la corruption généralisée et le détournement de fonds dans la recherche en Chine.
Leur article était prémonitoire. En mars, Chen Yingxu, Vice-président exécutif de la Faculté des sciences de l'environnement et des ressources à l'Université du Zhejiang, a été accusé d'avoir détourné 10,22 millions de Yuans (1,68 millions de Dollars US) destinés au financement de la recherche.
? Beaucoup de jeunes chercheurs ont beaucoup d'enthousiasme et d'énergie pour la recherche universitaire, mais en raison de leur faible classement et de leur manque de relations étroites avec les dirigeants, très peu d'entre eux bénéficient d'un financement ?, a déclaré un professeur du nom de Lu qui travaille à l'Ecole des sciences de l'informatique à l'Université du Jilin.
M. Ren de l'Université Beihang dit que la culture dominante -qui idolatre le pouvoir plut?t que l'égalité et l'indépendance- va à l'encontre de l'esprit des idéaux universitaires et contribue à expliquer pourquoi ? La Chine a probablement les meilleurs étudiants avant l'université, mais, cependant, ils deviennent moins compétitifs que leurs homologues étrangers lorsqu'ils étudient pour un dipl?me de baccalauréat. La situation s'aggrave quand ils étudient pour une ma?trise ou un doctorat ?.
? Aujourd'hui, nous voyons de plus en plus d'étudiants chinois qui choisissent d'étudier à l'étranger, et des établissements étrangers, comme l'Université de New York, qui ouvrent des campus à Shanghai ?, a-t-il dit. ? Le marché de l'éducation est désormais mondial et nous devons changer ?.