WILLIAM HILTON*
En dépit des efforts continus de la part des banques centrales dans le monde entier pour soutenir la croissance en injectant de l'argent et des actifs dans leur économie respective, des signes montrent clairement que certaines des dix plus grandes économies mondiales commencent à fléchir. En tant que puissance commerciale majeure, la Chine n'est pas immunisée contre la récession qui frappe l'étranger et va probablement continuer d'être freinée dans son élan par les économies tournant au ralenti, dont, entre autres, les états-Unis, l'Allemagne et la France, qui affichent d'ores et déjà un rythme de croissance faible. De récentes données macroéconomiques publiées par les autorités statistiques chinoises dressent un portrait mitigé de la seconde économie mondiale. Bien que les décideurs politiques en Chine puissent se réjouir de la croissance du PIB, qui devrait atteindre le taux enviable de 7,5 % pour l'année complète, ils sont néanmoins confrontés au même défi auquel font face leurs pairs dans les principales économies au développement bien moins rapide : répondre aux besoins immédiats de croissance et de création d'emploi, sans pour autant aggraver les risques sur le long terme.
Tout bien considéré, le taux de croissance plus faible que prévu enregistré au premier trimestre de l'année démontre que jusqu'à présent, la nouvelle direction chinoise adhère à l'idée qu'au stade de développement économique du pays, il vaut mieux en faire moins pour soutenir l'économie. Assouplir sa politique monétaire en contractant une série d'emprunts n'est plus une solution. En revanche, les trimestres prochains, les décideurs politiques vont probablement définir plus spécifiquement leurs méthodes pour atténuer la tension entre croissance à court terme et objectifs politiques sur le long terme. Il est fort probable que ces méthodes incluront l'augmentation des dépenses publiques pour réduire l'actuelle dépendance systémique à la dette, ainsi que l'abaissement des taux d'intérêts pour alléger un fardeau qui pèse de plus en plus lourdement sur les entreprises, celui du paiement du service de la dette.
Pour toutes ces raisons, d'importants thèmes devraient faire l'objet d'une attention toute particulière dans la seconde moitié de 2013, et les sujets ci-dessous vont aider à déterminer quelle allure prendra la politique économique dans les prochains mois.
L'urbanisation n'est pas un remède miracle pour la croissance
Les nouveaux responsables économiques chinois ont mis l'accent sur l'importance de l'urbanisation, moteur de la croissance économique future. D'un c?té, cette affirmation est certainement vraie, puisque 10 millions de nouveaux citadins par an, selon les estimations, stimuleront la demande en logements et en services. Mais d'un autre c?té, cette future politique d'urbanisation reste bien vague, étant donné que le développement de l'immobilier et la construction d'infrastructures sont déjà, depuis plus d'une décennie, des moteurs majeurs de la croissance. Parmi les décideurs politiques, on craint que le modèle économique actuel – qui repose grandement sur l'investissement pour l'urbanisation – ne crée pas assez d'emplois pour maintenir à un taux acceptable l'augmentation du revenu des ménages. De plus, les régulateurs ont récemment resserré les contr?les sur les canaux de financement qui permettaient aux plateformes de financement des gouvernements locaux et aux entreprises proches de ces gouvernements d'emprunter de larges sommes pour mettre en ?uvre ces projets d'urbanisation.
Tout cela montre bien que l'urbanisation ne se résume pas à la construction de villes. D'importance égale aux infrastructures lourdes (routes, ponts, logements, etc.), il y a ce que l'on pourrait appeler les infrastructures légères : des services administratifs efficaces, un environnement favorable aux investissements non manufacturiers et un climat global qui met l'accent sur l'inclusion plut?t que l'exclusion.
L'expérience des dix dernières années avertit que cette tache sera plus ardue que la construction de réseaux de transport et de complexes d'habitation.
Anticiper correctement l'inflation
L'inflation des prix à la consommation semble être sous contr?le. Selon les données officielles, la hausse des prix à la consommation continue en gros d'être majoritairement due à la flambée des prix des aliments, notamment des fruits et légumes frais. Du fait de la capacité excédentaire qui s'observe dans nombre de secteurs manufacturiers, les producteurs ne peuvent pas facilement reporter sur les consommateurs l'augmentation des co?ts de production, et dans le cas de la Chine, les prix moyens des biens, tels ceux des appareils électroniques ou des articles de consommation durables, sont restés stables ou ont même parfois baissé. Dans l'environnement actuel, cependant, une nouvelle source inflationniste potentielle a émergé, liée aux réformes économiques, qui pourrait susciter beaucoup d'attention au cours des prochains mois : les ajustements relatifs des prix pour les frais de services.
Quand les ménages, n'importe où dans le monde, entendent l'expression ? flambée des prix ?, ils ont tendance à s'attendre au pire. Cependant, ces ajustements politiques, s'ils sont bien gérés, ne mènent pas nécessairement à une hausse des prix généralisée dans l'économie. Il est possible de gérer les attentes quant à l'augmentation future des prix, et ce message devrait être au c?ur d'une série de réformes politiques efficaces à venir, afin de garantir que les signaux-prix permettent d'assurer une offre suffisante sur le marché.
La vitesse d'appréciation du renminbi n'est pas soutenable
Face à un environnement externe mou et à une croissance intérieure ralentissant sa course, les décideurs politiques chinois vont probablement empêcher bient?t la monnaie chinoise de continuer à s'apprécier au rythme actuel. Le renminbi a gagné plus de 1 % depuis le début de l'année, une tendance à la hausse qui s'est accélérée suite à de récentes réunions du Conseil des affaires d'état et des déclarations de la Banque populaire de Chine. Cependant, dans cette affaire, les attentes sur le marché pourraient s'avérer en décalage avec l'état de l'économie et l'orientation politique qui en résultent. Il est vrai que la réforme du mécanisme de change en Chine, comme toute réforme, ne sera pas sans conséquences, étant donné que certaines industries supportent les frais de change tandis que d'autres en bénéficient. Mais les récentes déclarations du Conseil des affaires d'état à l'égard des réformes, favorables à une plus grande convertibilité de la devise chinoise et à une plus grande libéralisation du compte de capital, doivent être interprétées en contexte : l'ampleur et la vitesse des réformes à long terme dépendront toujours en partie des effets que ces réformes auront sur la croissance à court terme.
Finalement, les spéculations sur l'appréciation du yuan sont généralement associées à des afflux de capital vers la Chine pour profiter de taux d'intérêts plus élevés et de la potentielle hausse de la valeur de la monnaie. Néanmoins, beaucoup à l'intérieur des frontières observent la progression vers une plus grande libéralisation du compte de capital comme l'occasion de transférer des fonds en dehors du pays plus facilement, afin d'investir dans l'immobilier à l'étranger ou simplement de diversifier la répartition géographique de leurs placements. Les rapides sorties de capital sont presque aussi indésirables que les rapides entrées, et gérer les attentes quant à la vitesse future de l'appréciation du yuan est une méthode non négligeable pour enrayer la tendance. Un ralentissement du rythme d'appréciation, voire une potentielle dépréciation, pourrait décourager les spéculateurs dans la seconde moitié de l'année.
Il est toujours crucial de casser les monopoles
Pour la première fois depuis des décennies, une phrase importante n'apparaissait pas dans les principaux documents sur la politique économique publiée durant et après l'ouverture du XVIIIe Congrès du PCC : casser les monopoles. C'est un sujet qui avait suscité beaucoup d'intérêt pendant longtemps, alors que les réformateurs politiques et les entreprises privées appelaient à une plus grande compétition dans l'économie, requérant que les industries importantes cessent d'être contr?lées par des conglomérats et agences administratives détenues par l'état. Des déclarations soulignant l'importance de casser les diverses sortes de monopoles sont citées dans des documents politiques depuis le XIVe Congrès national du PCC, et beaucoup ont remarqué l'absence de telles déclarations dans les récents documents.
Cette omission pourrait être expliquée en partie par le fait que le Congrès national du PCC a traité de cette question par la voie législative ces dernières années, à travers la mise en place d'une loi anti-monopole ; il n'est donc plus justifié d'accorder une attention particulière à ce sujet, tout simplement. Cependant, beaucoup de secteurs manufacturiers et de services où l'innovation privée fait cruellement défaut sont toujours fortement dominés par les principales firmes étatiques, qui sont soutenues dans leur monopole par des procédures administratives défavorables à l'entrée de capitaux privés ou à l'établissement de start-up indépendantes. On peut penser à pas mal d'industries liées aux télécommunications, à l'aéronautique ou aux chemins de fer, pour n'en citer que quelques-unes. Certains de ces secteurs sont considérés comme stratégiques et vitaux pour la sécurité économique, légitimant la domination par les entreprises publiques. Mais en réalité, dans de nombreux secteurs en aval, surtout ceux liés aux services, le fait qu'il existe un monopole politique au haut de la cha?ne industrielle n'est pas sans conséquence sur l'évolution de la concurrence, car cela augmente les risques pour les entrepreneurs et leurs commanditaires.
En général, si un quelconque objectif de réforme n'est pas énoncé clairement dans les importants documents politiques qui affichent l'orientation à suivre dans les prochaines années, il y a peu de chances pour que celui-ci soit introduit plus tard. Dans ce cas, cependant, un besoin accru en innovation nationale et en création d'emplois pourrait forcer les décideurs de la politique économique à intervenir.
Cela peut para?tre simple, mais une réforme instaure un nouvel environnement pour l'essor futur. La nouvelle direction économique est bien consciente des défis macroéconomiques auxquels elle va devoir faire face, mais en créant un nouvel espace pour la croissance, elle devra tenir compte des processus qui sont source de développement, plut?t que de simplement considérer les résultats, comme les objectifs de croissance.
Les sujets susmentionnés répondent à la question ? quoi ?, mettant en lumière les tendances qui pourraient amener à des réponses politiques à court terme. Cependant, au stade actuel du développement économique chinois, les questions ? comment ? et ? pourquoi ? sont peut-être plus importantes encore afin de mettre en ?uvre des solutions sur le long terme, et de régler des problèmes qui persistent depuis longtemps.
*WILLIAM HILTON est membre du conseil d'administration de la PRC Macro Advisors, société de conseil dont le siège se trouve à Hong Kong.