En riposte aux critiques virulentes et surtout à une déclaration des chefs d'Etat de l'Union africaine (UA) lors de leur récent sommet en mai à Addis-Abeba en Ethiopie demandant l'arrêt des poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) contre le nouvel exécutif kényan, Fatou Bensouda, procureur de cette juridiction, réaffirme le maintien de ces procédures.
Sous le feu des critiques qui dénoncent son penchant à ne porter son attention principalement à l'endroit de leaders africains, la CPI à travers sa nouvelle procureure, de nationalité gambienne, et son chef de la section de la coopération internationale, le Sénégalais Amady Ba, a tenté de démontrer lors du 2e New York Forum Africa à Libreville au Gabon son caractère universel.
Visiblement en campagne de communication auprès des participants de ce forum économique et de l'opinion publique africaine de manière plus large, Fatou Bensouda a rejeté les accusations de "justice raciale" et d'instrument "de colonialisme, de servitude et d'impérialisme", et montré sa détermination à faire juger les dirigeants considérés comme étant en délicatesse avec le respect des droits de l'homme.
C'est le cas d'Uhuru Kenyatta et de William Ruto, fra?chement élus à la tête de l'exécutif kényan comme président et vice-président en mars au moment où des procédures sont en cours à leur encontre liées à des accusations de crimes de génocides et crimes contre l'humanité pour leur responsabilité supposée dans les violences intertribales survenues lors des élections de 2007 dans leur pays où des milliers de personnes furent massacrées.
Face à la levée de boucliers observée, la procureure de la CPI se défend en expliquant que seule compte pour elle et les juges de cette juridiction basée à La Haye aux Pays-Bas le droit des victimes de telles violations des droits d'homme et le combat contre l'impunité. "Je le répète, notre raison d'être, ce sont les victimes et nous allons poursuivre notre travail, car nous voulons qu'elles soient entendues et que la justice leur soit rendue", a-t-elle martelé à Xinhua.
"Beaucoup d'efforts sont faits pour faire arrêter les procès, pour protéger les personnes poursuivies devant la CPI. Si la moitié de ces efforts étaient orientés pour résoudre la situation des victimes, aujourd'hui les viols seraient auraient pris fin au Darfour, les tueries et d'autres atrocités auraient pris fin en République démocratique du Congo ainsi qu'en C?te d'Ivoire", a-t-elle décrié.
Catégorique, elle a fait savoir que "l'Union africaine a pris une résolution qui demande l'arrêt des poursuites et le transfert des dossiers (des deux nouveaux dirigeants) au Kenya. Ceci n'a pas un effet légal sur la CPI. L'arrêt des poursuites ne peut se faire que sur décision des juges, sur décision du procureur de la CPI. Sinon, aucune organisation régionale ou internationale ne peut demander à la CPI d'arrêter les poursuites".
Lors du New York Forum Africa, tenu du 14 au juin dans la capitale gabonaise à l'initiative du Franco-marocain Richard Attias installé à New York aux Etats-Unis et avec l'implication du président gabonais Ali Bongo Ondimba, Fatou Bensouda a sorti ses armes pour contrattaquer le réquisitoire de la ministre rwandaises des Affaires étrangères, Louise Mishikiwabo, reprenant la position de l'UA opposée à un "colonialisme judiciaire".
Le sentiment d'acharnement de la CPI à l'égard des Africains trouve son explication dans le faut qu'aujourd'hui les cinq détenus de cette juridiction créée par les Nations Unies en 2002 sont tous des Africains dont l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et les huit dossiers d'instruction en cours devant cette juridiction se rapportent au seul continent africain.
Il s'agit notamment des cas ougandais, congolais (RDC), centrafricain, soudanais, kényan, libyen, ivoirien et malien. Fatou Bensouda a beau rappeler que la CPI mène des investigations dans d'autres pays et régions du monde tels l'Afghanistan, la Colombie, la Géorgie et le Honduras, elle peine à convaincre les sceptiques de l'impartialité et l'universalité de la cour.
Des tacles lui sont par exemple adressés sur le silence face à la situation de Gaza en Palestine. "Pour le moment, la Palestine n'est pas un Etat-partie de la CPI. Mais, il y a deux ans ils ont reconnu la compétence de la CPI, de sorte que la CPI est en mesure d'enquêter en Palestine. Isra?l n'est pas non plus un Etat-partie de la CPI. Avant que la Palestine soit reconnue comme un Etat, la CPI n'avait pas la possibilité d'enquêter", tente-elle de justifier.
Pour Amady Ba pour autant, "nous n'avons pas été nommés pour différencier entre un Blanc et un Européen, entre un Africain ou une autre nationalité". Ce qui signifie que concernant les mis en cause actuels, africains ou pas, "la justice va continuer et on verra, parce que la justice peut nous dire aussi vous avez tort, les juges. Ce n'est pas lui le responsable, c'est un autre. Ou bien vous avez raison, vos preuves sont assez substantielles pour qu'on respecte la décision des juges, de condamner tel ou tel."
"Pourquoi nous en Afrique on oublie vite ? Pourquoi quand la justice se déploie vers les plus hauts responsables, immédiatement on voit l'intérêt d'un groupe ou d'autres agendas en oubliant que des victimes ont été abattues simplement parce qu'elles ont pris position ou parce qu'elles ont exprimé leurs libertés ?", s'interroge-t-il.
A son tour, il justifie le maintien des poursuites contre Kenyatta et Ruito en évoquant "ces images des personnes tuées parce qu'elles sont simplement dans un camp ou dans un autre, ou bien parce qu'elles sont de telle ethnie. Et pourquoi aujourd'hui on refuse la justice simplement parce que les hauts responsables, en respectant le principe de présomption d'innocence, sont des personnes qui sont au pouvoir ou ont une certaine visibilité internationale ? C'est ce que nous ne comprenons pas."
Dès leur entrée en fonction, les deux nouvelles têtes de l'exécutif kényan, conscients de la puissance de cette machine, ont néanmoins annoncé leur disposition à coopérer avec la juridiction controversée.
Par Rapha?l MVOGO